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Arrêt SERKOV de la C.E.D.H. : le principe de sécurité juridique est un principe général de droit supérieur aux lois nationales

Un arrêt récent de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme (C.E.D.H. ci-après) a rappelé l’obligation qui pèse sur les Etats en matière de prévisibilité des lois fiscales. Un contribuable ukrainien qui avait effectué une opération (importation) en se fondant sur l’interprétation donnée aux lois fiscales par la Cour Suprême de son pays avait le droit de se fier à cette interprétation. Si la jurisprudence de la Cour Suprême devait entretemps être modifiée, après qu’il ait effectuée l’opération en question, le contribuable ne peut en subir les conséquences.

La C.E.D.H. considère ainsi que le principe de sécurité juridique contenu dans l’article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droites de l’homme et des libertés fondamentales est supérieur à la loi ukrainienne.

Sans entrer dans les détails relativement complexes de l’affaire, les faits étaient les suivants. Le droit ukrainien prévoyait qu’une personne qui importe des biens avec comme objectif de les utiliser ou consommer en Ukraine devait être considérée comme un débiteur de la T.V.A., sauf pour les personnes physiques qui importent des biens en-dessous de la limite taxable. M. SERKOV était un petit entrepreneur qui avait en principe le droit de bénéficier du régime prévu pour les petites entreprises prévoyant une taxe unique en remplacement des autres taxes.

La C.E.D.H. s’est basée sur l’article 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prévoit que :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes».

La C.E.D.H. a ainsi examiné si la privation de la propriété des biens de M. SERKOV était bien conforme aux conditions prévues par la loi. Outre le fait que la privation (de propriété) doit être fondée sur une loi, cette notion implique également que ladite loi doit être de « qualité », à savoir accessible aux personnes concernées, précise et prévisible dans son application (point 34 de l’arrêt).

Au moment où M. SERKOV avait pris sa décision d’importer des biens en Ukraine, l’interprétation donnée aux dispositions légales applicables aboutissait à ce qu’il puisse bénéficier de l’exemption de la T.V.A. Peu après, la Cour Suprême ukrainienne avait modifié radicalement sa position et a rendu publique cette nouvelle interprétation.

Pour la petite histoire, une disposition précise du droit ukrainien prévoit que si une loi (au sens large, ou une lecture simultanée de plusieurs lois) autorise une interprétation ambiguë ou différentes interprétations des droits du contribuable et des autorités administratives, la décision doit être prise en faveur du contribuable. Ce principe est connu en Belgique comme in dubio contra fiscum. Dans l’arrêt rendu dans le cadre de cette affaire, de la Cour Suprême ukrainienne n’avait toutefois pas appliqué la disposition spécifique in dubio contra fiscum en faveur de M. SERKOV.

La C.E.D.H. a présumé que le droit à l’exemption de la T.V.A. avait été un élément significatif dans la décision de M. SERKOV de procéder à l’importation en question.

Selon la C.E.D.H., s’il peut y avoir de bonnes raisons pour qu’une jurisprudence change, la Cour Suprême ukrainienne n’en avait toutefois donné aucune, ce qui a dû, selon la C.E.D.H., affecter la confiance publique dans le droit (« must have affected public confidence and trust in the law »), ce qui a eu comme conséquence de réduire la prévisibilité des dispositions légales en question.

La C.E.D.H. a estimé que le vrai « coupable » était le mauvais état du droit applicable. Ce manque de prévisibilité a dès lors eu comme conséquence que la législation en question n’avait pas la « qualité » requise.

A l’unanimité, la C.E.D.H. a ainsi jugé qu’il y avait une violation du Protocole n° 1 et a condamné l’Ukraine à rembourser à M. SERKOV la T.V.A. payée indûment, ainsi qu’à payer une somme de 4.000 € ex aequo et bono à titre de dommage non-pécuniaire.

Le principe général de droit à la sécurité juridique découle ainsi directement de l’article 1er du 1er Protocole additionnel. Il s’impose dès lors directement aux juridictions nationales.

Ainsi, lorsque les textes législatifs sont imprécis et leur interprétation changeante, les contribuables peuvent se référer au principe de sécurité juridique pour éviter le paiement d’impôt.

La jurisprudence belge n’a pas toujours été parfaitement cohérente à ce propos puisque dans certains cas le principe de sécurité juridique l’a emporté alors que dans d’autres c’est le principe de légalité qui a eu le dernier mot.

L’enseignement de l’arrêt SERKOV pourra en tout cas être appliqué en cas de revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Tous les actes accomplis avant le revirement jurisprudentiel (et même jusqu’à la publication de l’arrêt de la Cour de cassation) pourront bénéficier du régime applicable avant le revirement.

Auteur : Tristan Krstic

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