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Vers une imprescriptibilité de la fraude fiscale au pénal ?

L’on a beaucoup lu, ces dernières semaines, que le secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale entendait rendre légalement imprescriptibles les « affaires de fraude fiscale ».

Cela signifie –t-il, à supposer la modification législative envisagée adoptée, que certaines infractions fiscales en deviendraient imprescriptibles comme certains se sont empressés de le soutenir ? Rien n’est moins certain !

En matière fiscale, le fisc dispose en principe d’un délai – de base – de 3 ans, afin de rectifier la déclaration fiscale d’un contribuable, et le taxer sur cette rectification. Lorsque le fisc dispose d’indices de la commission, par le contribuable, d’une fraude fiscale, il est en droit de notifier ces indices à ce contribuable, préalablement à l’exercice d’investigations complémentaires, susceptibles de le conduire à prouver cette fraude fiscale. Si le fisc y parvient, et que les indices se transforment en preuve, alors il est en droit de rectifier la situation fiscale du contribuable sur une période de 7 ans. Ainsi, si une telle rectification intervient en 2012, l’administration fiscale peut rectifier la situation du contribuable jusqu’à l’année 2005, en ce compris.

Le droit fiscal belge comprend encore diverses règles plus spécifiques de prescription, par exemple, en accordant un délai complémentaire de 1é ou de 24 mois au fisc pour enrôler une cotisation, dans certaines situations telles l’existence d’une enquête pénale dont il résulterait la preuve de l’existence d’une infraction dans le chef du contribuable, voire encore lorsqu’une autorité étrangère transmet à la Belgique des informations dont il résulte que le contribuable belge n’a pas déclaré certains revenus durant une certaine période.

Ces règles sont-elles visées par le projet du secrétaire d’Etat ? Non.

En réalité, ce sont les règles de la prescription en matière pénale que le secrétaire d’Etat vise : la règle est actuellement la prescription de l’infraction de fraude fiscale après l’écoulement d’un délai de 10 ans à dater de la commission de l’infraction. La question a déjà donné lieu à de très nombreuses discussions, notamment ces dernières années où la justice a eu à trancher plusieurs grands dossiers de « fraude fiscale ».

Le secrétaire d’Etat souhaite modifier la législation en vigueur afin d’y préciser que, désormais, le délai de prescription ne pourra pas courir aussi longtemps que les fraudeurs utilisent de faux documents pour contester les impôts qui leur seraient réclamés. Le but projeté serait atteint par l’ajout dans le Code des Impôts sur les revenus d’une unique phrase qui devrait ainsi prévoir que le délai de prescription ne commencera à courir que lorsque " l’impôt dû aura été effectivement et définitivement payé ".

La modification, si elle devait être adoptée, rendraient les infractions fiscales pratiquement imprescriptibles sur le plan pénal. A ce jour, seules les infractions de génocide, de crime de guerre, et de crime contre l’Humanité avaient ce statut.

L’on doit douter tant de la régularité que de l’efficacité d’une telle mesure en droit interne.

De sa régularité en premier lieu, parce que le respect des droits de l’Homme impose, de l’une ou l’autre manière, le droit à un procès équitable, ce qui implique que l’action pénale puisse être menée sans être entravée par la déperdition des preuves de l’infraction – et tel est bien le risque en présence d’une infraction imprescriptible… les preuves n’étant pas susceptibles d’être rapportées de manière éternelle.

De son efficacité ensuite, parce que de nombreux dossiers de « fraude fiscale » n’ont pas abouti du fait du dépassement du « délai raisonnable », qui n’est aucunement évité de par le caractère imprescriptible de l’infraction de fraude fiscale. Le dépassement de ce délai raisonnable, protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme, continuera à être sanctionné, chaque fois qu’il le devra, par les juridictions belges et européennes, de sorte que la nouvelle mesure n’apportera sans doute aucun changement significatif en la matière !

L’annonce de cette mesure n’étonnera toutefois pas réellement, lorsqu’on examine dans son ensemble le plan d’action pour la lutte contre la fraude organisée, la fraude fiscale et sociale et la fraude aux allocations et aides sociales, dans lequel elle s’intègre, et qui comprend une série de dispositions fort restrictives des droits de l’Homme et des libertés individuelles, alors que ces derniers font toutefois partie de notre arsenal juridique. Il reste à savoir si ces mesures passeront le cap du processus législatif…

Auteur : Jonathan Chazkal

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