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Un arrêt de la Cour Constitutionnelle peut-il être considéré comme un élément nouveau ?

Un arrêt de la Cour Constitutionnelle peut-il être considéré comme un élément nouveau permettant à un contribuable d’obtenir un dégrèvement d’office, alors que le délai pour introduire une réclamation contre l’imposition n’était pas encore expiré lors de la publication de cet arrêt au Moniteur belge ?

Selon la position adoptée par l’administration, les arrêts rendus par la Cour onstitutionnelle sur questions préjudicielles constituent un fait nouveau, probant, au sens de l’article 376, §1er du Code des impôts sur les revenus 92. Toutefois, le fait nouveau probant dont il est question ne peut être invoqué par le contribuable que si le délai de réclamation prévu par l’article 371 du Code des impôts sur les revenus 92 était expiré à la date de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle ou au plus tard, à la date de sa publication au Moniteur belge. (Circulaire n° CI.RH.862/536.019 du 4 mai 2001 ; Circulaire n° CI.RH.332/557.605 du 1er octobre 2003 ; Circulaire n° AREC 6/2004 du 10 août 2004)

Telle était également la position des tribunaux de première instance d’Anvers, d’Hasselt et de Liège.

A contrario, la jurisprudence de première instance de Mons estimait que l’administration ne peut pas se retrancher derrière des règles de procédure pour maintenir des taxations manifestement illégales.

Une récente décision du tribunal de première instance de Liège revient sur cette question.

Dans cette affaire, les requérants sont bénéficiaires de rentes que leur versent le Fonds des accidents du travail et le Fonds des maladies professionnelles. Ces rentes sont imposées sur pied de l’article 34 § 1 CIR/92.

Par un arrêt du 9 décembre 1998, la Cour Constitutionnelle a jugé que l’article 34 CIR/92 (ancien article 32 bis CIR/92) violait l’article 10 de la constitution en ce qu’il rend imposables les indemnités versées en réparation d’une incapacité permanente en application de la législation sur les accidents du travail, sans qu’il n’y ait perte de revenus dans le chef de la victime.

Les requérants introduisent une réclamation à l’encontre des impositions dont ils ont fait l’objet. Cette réclamation est rejetée, la thèse de l’administration étant de dire que cet arrêt de la Cour Constitutionnelle ne peut être considéré comme un élément nouveau donnant droit à un dégrèvement d’office puisque le délai de réclamation n’était pas encore expiré au jour où l’arrêt de la Cour Constitutionnelle a été publié au Moniteur belge. Suite à cette décision, les requérants introduisent un recours devant le tribunal de première instance de Liège.

Par son jugement du 22 mars 2007, le tribunal de 1ère instance de Liège a donné raison aux requérants en considérant que « l’ignorance ou la prise de connaissance tardive de l’arrêt, malgré sa publication au Moniteur belge, constitue un juste motif suffisant pour invoquer la portée de l’arrêt au titre de fait nouveau, après l’expiration du délai de réclamation. »

Le tribunal de première instance de Liège base sa décision sur le fait qu’: « il ne peut être exigé [du contribuable] de suivre au jour le jour l’actualité des décisions, de surcroît en matière fiscale, de la Cour d’arbitrage et d’en comprendre les implications. Cette exigence peut, par contre, être imposée à l’Administration fiscale à qui il est loisible de constater d’office la surtaxe résultant de l’application de l’arrêt préjudiciel et d’accorder elle-même le dégrèvement sans attendre que lui soit signalé ce qu’elle sait déjà par ailleurs ou est censée ne pas ignorer. »

L’arrêt ne va donc pas aussi loin que le tribunal de première instance de Mons qui, dans son jugement du 11 avril 2002, avait décidé que : « si le directeur régional constate lui-même l’existence d’une surtaxe autorisant le dégrèvement d’office, il est tenu d’annuler (…) ; L’administration ne peut maintenir au rôle un montant à titre d’impôt qu’elle sait non exigible; Que ce faisant elle commettrait une faute. »

On peut trouver là un élément en faveur du contribuable qui ne peut pas se voir pénalisé de par l’inertie de l’administration. Dès lors, si l’exigence de suivre au jour le jour la jurisprudence fiscale ne peut pas être mise à charge du contribuable, mais bien de l’administration, il est normal que le contribuable puisse encore agir hors délai, alors même que le délai pour introduire une réclamation contre l’imposition n’était pas encore expiré lors de la publication de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle au Moniteur belge.

A bon droit, le jugement considère que la publication de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle au Moniteur belge ne permet pas de présumer que les requérants en ont eu effectivement connaissance. En effet, il paraît clair que l’on ne peut exiger d’un particulier de se familiariser aux aspects techniques du droit fiscal et de consulter quotidiennement le Moniteur belge. Il ne peut être exigé de lui de suivre au jour le jour l’actualité des décisions, de surcroît en matière fiscale, de la Cour Constitutionnelle et d’en comprendre précisément sa portée et ses implications. Il serait déraisonnable d’exiger d’un simple contribuable une telle connaissance d’une branche précise du droit.

Le tribunal affirme une position très claire et extensive par rapport à la jurisprudence antérieure en ajoutant que : « (…) l’arrêt de la Cour d’arbitrage constitue un fait nouveau quelle que soit sa date de survenance par rapport au délai de réclamation, qu’il soit rendu ou publié au Moniteur belge alors qu’il est expiré, alors qu’il court toujours mais aussi avant la réception de l’avertissement extrait de rôle c’est à dire avant même qu’il n’ait commencé à courir, si dans chaque cas, le contribuable a de bonnes raisons de n’en prendre connaissance qu’après l’expiration du délai de réclamation (tout en demeurant dans le délai de 3 ans à partir du 1er janvier de l’année au cours de laquelle l’impôt a été établi). »

Il y a lieu d’approuver entièrement ce jugement, en ce sens qu’il se veut très protecteur des droits contribuable et qu’en fin de compte, il ne fait qu’appliquer le critère de l’ignorance justifiée de l’état de la jurisprudence constitutionnelle en matière fiscale, pour un citoyen.

L’on peut espérer que les autres tribunaux de première instance du pays s’aligneront enfin unanimement sur une telle jurisprudence et consacreront tous la protection du contribuable face à l’inertie de l’administration dans son devoir d’accorder d’office le dégrèvement des surtaxes dont elle ne peut ignorer l’existence.

Aurélie Blaffart

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