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Mesure anti-abus : au moins des effets similaires

L’article 344, §1 du Code des Impôts sur les Revenus permet à l’administration fiscale, dans certaines hypothèses, de déclarer inopposable à l’administration la qualification juridique donnée par les contribuables à un acte lorsque la qualification adoptée par les parties est exacte, mais a pour but d’éviter l’impôt. L’article 344, §1 du Code autorise dans ce cas l’administration fiscale à procéder à une requalification de l’acte pour autant que cette requalification respecte les effets juridiques qui subsistent à l’issue de l’opération considérée dans son ensemble.

La Cour de cassation a rendu le 22 novembre 2007 un arrêt confirmant l’exigence de similarité d’effets juridiques entre des opérations que l’administration entend requalifier.

L’arrêt confirme ainsi un arrêt rendu par la Cour d’appel de Gand le 13 septembre 2005 qui avait donné raison au contribuable. Des contribuables avaient acquis la nue-propriété d’un appartement et leur société en avait acquis l’usufruit d’une durée de 10 ans. La société usufruitière devait améliorer le bien à ses frais et, à la fin de l’usufruit, le bien et les améliorations devaient revenir aux contribuables sans indemnité. La société usufruitière était contractuellement tenue des réparations nécessaires et des grosses réparations ainsi que de payer les frais et charges annuelles.

L’administration fiscale avait requalifié l’opération en un achat en pleine propriété par les contribuables avec location à la société. L’administration soutenait que l’opération n’était motivée que par des raisons fiscales et que le fait que les contribuables n’aient pas procédé de la sorte démontrait que les contribuables voulaient échapper à la taxation des loyers, requalifiés en revenus professionnels.

Les contribuables avaient obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Gand. La Cour d’appel de Gand avait considéré que la requalification opérée était impossible, à défaut de respect du contenu qualifié défini par les parties.

L’administration se pourvut en cassation, faisant valoir que de simples effets similaires suffisaient pour requalifier et qu’en l’occurrence, la requalification était légale.

L’administration fiscale faisait référence à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2005, qui avait jugé qu’il fallait que les effets juridiques des actes requalifiés fussent similaires pour pouvoir procéder à une requalification

L’administration a cru pouvoir déduire de l’arrêt de la Cour de cassation de 2005 qu’il suffisait que les opérations se ressemblent pour qu’il y ait possibilité de requalification : l’arrêt de la Cour d’appel de Gand, qui a vérifié si les effets étaient identiques, violait, selon l’administration, l’article 344, dans la mesure où la Cour de cassation, dans son arrêt de 2005, exigeait seulement une similarité des effets juridiques.

La réponse de la Cour de cassation est certes laconique, mais elle donne raison aux contribuables et confirme l’arrêt de Gand.

Dans l’arrêt de novembre 2007, la Cour de cassation confirme que l’administration ne peut procéder à une requalification d’une opération que pour autant que la nouvelle qualification ait des effets juridiques similaires à ceux subsistant à l’issue des actes réalisés par les parties.

La Cour relève que les juges d’appel ont constaté que la qualification donnée par l’administration de location à la place de celle choisie par les parties (usufruit) n’a pas les mêmes conséquences juridiques, que le rapport de propriété est tout à fait différent et que les relations juridiques entre le tiers vendeur et la société ne sont pas respectées.

La Cour de cassation estime que sur cette base, les juges d’appel ont pu légalement considérer que les actes contestés par l’administration ne peuvent être requalifiés sur pied de l’article 344, § 1er.

Qu’en penser ?

Dans les deux affaires où la Cour de cassation exige pour procéder à la requalification, une similarité, et non certes une identité d’effets, il n’en reste pas moins que les contribuables obtiennent gain de cause, en l’absence de similarité des effets juridiques.

A ce jour, on peut donc constater que la similarité ne signifie pas qu’il suffise que les opérations aient des points de ressemblance. Il faut manifestement plus que cela pour admettre une application de la mesure anti-abus.

Dans l’arrêt du 4 novembre 2005, la Cour de cassation décidait :

« Qu’il découle de l’article 344 (…) que seule la qualification d’un acte peut être rendue inopposable à l’administration fiscale et que celle-ci ne peut, partant, lui donner une autre qualification qu’en respectant les effets juridiques de cet acte ; attendu que l’arrêt énonce que l’article 344, § 1er, « ne prévoit pas l’identité des effets juridiques entre l’opération requalifiée et l’opération présentée au fisc » ; Qu’en s’abstenant de vérifier si les effets de l’opération nouvellement qualifiée et ceux de l’opération initialement qualifiée étaient similaires, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision de faire application de l’article 344, § 1er du CIR » (Cass., 4 novembre 2005, R.G.C.F., 2006, 49 et note J.P. BOURS ; nous soulignons).

L’administration a cru pouvoir déduire de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2005 qu’il ne fallait pas une identité dans les effets juridiques des actes requalifiés et qu’une « simple similarité » des effets juridiques suffisait. Selon l’administration, cette nuance entre la similarité et l’identité ouvrirait un champ d’action potentiellement beaucoup plus large pour l’administration dans ses tentatives de requalification.

On peut toutefois constater, à la lecture des deux arrêts de la Cour de cassation de 2005 et 2007, que s’il est certes question de similarité, il n’en reste pas moins que les effets juridiques doivent être respectés. L’administration fiscale ne peut dès lors requalifier les opérations comme elle le souhaite, en décidant simplement que les opérations sont « similaires ».

On retiendra de cette jurisprudence que les effets juridiques des actes ou opérations posés par les parties doivent être respectés (l’on se réfèrera à cet égard à la notion de « contenu qualifié » développée par la doctrine).

Sans vouloir vider l’article 344, § 1er, de toute possibilité d’application, la Cour de cassation confirme dès lors l’obligation que la requalification opérée par l’administration respecte les conséquences juridiques de l’acte ou de l’opération posée par les contribuables. Ce point est fondamental et doit bien sûr être approuvé

Auteur : Pascale Hautfenne

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