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L’arrêt Cadbury Schweppes de la Cour de Justice : “steady as she goes”

Par son arrêt du 12 septembre 2006 dans l’affaire C-196/04, en cause CADBURY SCHWEPPES PLC, la Cour de Justice a, une fois de plus, renforcé la liberté d’établissement au sein de l’UE.

La Cour a décidé plus précisément que « les articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’incorporation, dans l’assiette imposable d’une société résidente établie dans un Etat membre, des bénéfices réalisés par une société étrangère contrôlée dans un autre Etat membre lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d’imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat, à moins qu’une telle incorporation ne concerne que les montages purement artificiels destinés à éluder l’impôt national normalement dû. L’application d’une telle mesure d’imposition doit par conséquent être écartée lorsqu’il s’avère, sur la base d’éléments objectifs et vérifiables par des tiers, que, nonobstant l’existence de motivations de nature fiscale, ladite société contrôlée est réellement implantée dans l’Etat membre d’accueil et y exerce des activités économiques effectives. »

Les éléments se trouvant à la base de cet arrêt se résument comme suit :

Selon la législation britannique en litige, dite « controlled foreign companies legislation », les bénéfices d’une société étrangère détenus à plus de 50% par une société résidente au Royaume-Uni, appelée une « controlled foreign company » ou « société étrangère contrôlée » (ci-après CFC), sont attribués à la société résidente et imposés dans le chef de celle-ci, si le taux des impôts est inférieur aux trois quarts du taux appliqué au Royaume-Uni. La société résidente reçoit un crédit d’impôt pour l’impôt acquitté par la CFC. Ce système a pour effet d’obliger la société résidente à payer la différence entre l’impôt acquitté dans le pays étranger et l’impôt qui aurait eu été acquitté si la société avait résidé au Royaume-Uni.

Il existe un certain nombre d’exceptions à l’application de cette législation, notamment lorsque la CFC distribue 90% de ses bénéfices à la société résidente ou lorsque le test « du mobile » est satisfait. Pour bénéficier de cette dernière exception, une société doit démontrer que ni l’objectif principal des transactions ayant donné lieu aux bénéfices de la CFC ni la raison principale de l’existence de la CFC était d’obtenir une diminution de l’impôt au Royaume-Uni par la voie d’un détournement de bénéfices.

CADBURY SCHWEPPES PLC est la société mère du groupe CADBURY SCHWEPPES qui est active dans le secteur de boissons et confiseries. Le groupe comprend, notamment, deux filiales en Irlande, CADBURY SCHWEPPES TREASURY SERVICES (CSTS) et CADBURY SCHWEPPES TREASURY INTERNATIONAL (CSTI), établies dans l’International Financial Services Centre (IFSC) à Dublin, Irlande, où en 1996 le taux d’imposition était de 10%. Ces deux sociétés sont chargées de lever des fonds et de les mettre à la disposition du groupe. Selon la juridiction de renvoi, CSTS et CSTI ont été établies à Dublin dans le seul but de bénéficier du régime fiscal favorable de l’IFSC et de ne pas tomber sous l’application de certaines dispositions fiscales du Royaume-Uni.

En 2000, les « Commissioners of Inland Revenue » (autorité fiscale du Royaume-Uni), estimant que la législation sur les CFC s’appliquait aux deux sociétés irlandaises, a réclamé à CADBURY SCHWEPPES la somme de 8 638 633,54 livres sterling au titre de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réalisés par CSTI en 1996. CADBURY SCHWEPPES a formé un recours devant les « Special Commissioners of Income Tax », soutenant que la législation sur les CFC est contraire au droit communautaire, notamment au regard de la liberté d’établissement. Les Special Commissioners ont demandé à la Cour de justice si le droit communautaire s’oppose à une législation telle que la législation sur les CFC. La Cour rappelle que les sociétés ou personnes ne peuvent se prévaloir abusivement ou frauduleusement des normes communautaires.

Toutefois, la circonstance qu’une société a été créée dans un État membre dans le but de bénéficier d’une législation plus avantageuse n’est pas, à elle seule, suffisante pour conclure à l’existence d’un usage abusif de la liberté d’établissement. Donc, la circonstance que CADBURY SCHWEPPES a décidé d’établir CSTS et CSTI à Dublin dans le but avoué de bénéficier d’un régime fiscal favorable, ne constitue pas, en elle-même un abus et n’exclut pas que CADBURY SCHWEPPES puisse invoquer le droit communautaire.

La Cour note que la législation sur les CFC comporte une différence de traitement des sociétés résidentes en fonction du niveau d’imposition frappant la société qu’elles contrôlent. Cette différence de traitement crée un désavantage fiscal pour la société résidente à laquelle la législation sur les CFC est applicable. La législation sur les CFC constitue donc une restriction à la liberté d’établissement au sens du droit communautaire. En ce qui concerne les justifications possibles pour une telle législation, la Cour relève qu’une mesure nationale restreignant la liberté d’établissement peut être justifiée lorsqu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels destinés uniquement à éluder l’impôt national normalement dû et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Quant à l’application du test « du mobile », la Cour constate que le fait que l’obtention d'un allègement fiscal ait inspiré la constitution de la CFC ainsi que la conclusion de transactions entre la CFC et la société résidente, ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un montage purement artificiel.

La constatation de l’existence d’un tel montage exige, outre un élément subjectif, qu’il ressorte d’éléments objectifs et vérifiables produits par la société résidente relatifs, notamment, au degré d’existence physique de la CFC en termes de locaux, de personnel et d’équipements, que la constitution d’une CFC ne correspond pas à une réalité économique, c'est-à-dire à une implantation réelle ayant pour objet l’accomplissement d’activités économiques effectives dans l’État membre d’accueil.

L’arrêt offre donc une clarification de la ligne de conduite en cette matière.

La mise en cause des règles CFC est également une bonne nouvelle pour nos anciens centres de coordination et les entités juridiques réduisant leurs impôts par le système des intérêts notionnels, qui pourra davantage sortir son effet dans un contexte européen.

Auteur : Philippe GODDEVRIENDT van OYENBRUGGE

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