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L’enregistrement des entrepreneurs : Le régime belge condamné par l’Europe

Fin des années 70, le législateur belge, constatant l’existence d’une importante fraude fiscale dans le domaine de la construction immobilière, a adopté un ensemble de dispositions visant à assurer le paiement de l’impôt dû par les entrepreneurs.

Le régime institue comme débiteur solidairement tenu au paiement de cet impôt le commettant au sens de l’article 400 du Code des impôts sur les revenus, c’est-à-dire, quiconque donnant ordre d’exécuter ou de faire exécuter des travaux pour un prix (sauf l’exclusion particulière des personnes physiques agissant à des fins exclusivement privées).

Pour les dettes fiscales, l’administration peut invoquer cette solidarité pour un montant équivalent à 35 % du prix des travaux (pour les dettes de sécurité sociale, il s’agit de 50 % du prix des travaux, soit 85 % au total).

En outre, cette responsabilité solidaire se couple à une obligation de retenue à la source. Lors de chaque paiement (acompte, paiement en cours de travaux et solde à la réception), le commettant devra retenir 30 % de la somme payée qu’il conviendra de verser directement à l’Etat (15 % pour les dettes fiscales et 15 % pour les dettes de sécurité sociale).

La clef de voûte du système est l’enregistrement de l’entrepreneur. En effet, le régime exposé ne trouvera pas application lorsque l’entrepreneur est valablement enregistré, ce qui suppose qu’il en fasse la demande et qu’il fournisse les documents nécessaires permettant notamment d’attester de l'exécution de ses obligations fiscales et sociales.

La vérification de cet enregistrement doit être effectuée par le commettant avant chaque paiement. Une vérification en début de travaux, au moment de la signature du devis, est inefficiente pour les sommes ultérieurement payées à un entrepreneur dont l’enregistrement serait, par hypothèse, radié en cours de travaux.

Comme l’a relevé la Cour d’arbitrage dans un arrêt du 19 décembre 2002, le régime mis en place tend à ce que « nul n’ait intérêt à recourir aux services d’entrepreneurs non enregistrés ».

Si la volonté du législateur de l’époque paraît légitime, les conséquences pratiques excessives du régime adopté suscitent de nombreuses interrogations lorsqu’il s’analyse sous l’angle du droit européen. En effet, ces dispositions ont pour conséquence de contraindre à l’enregistrement les entrepreneurs étrangers désirant prester les services en cause en Belgique et ce, alors même qu’ils ne seraient redevables d’aucun impôt belge.

Par un avis motivé du 23 octobre 2001, la Commission européenne a notifié à l’Etat belge la contrariété de ce régime avec le principe de libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté (Art. 49 et 50 Traité CE). Elle y exigeait l’adoption des mesures nécessaires à la mise en conformité du droit belge.

La Belgique ne s’étant pas soumise à cette demande, la Commission a porté le recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes.

Dans son arrêt du 9 novembre 2006, la Cour, suivant les conclusions de l’avocat général, a jugé que le régime belge constituait une restriction à la libre circulation des services, en ce qu’il était susceptible de dissuader les prestataires non enregistrés et non établis en Belgique d’accéder au marché belge afin d’y fournir des services dans le secteur de la construction.

Le gouvernement belge justifiait cependant cette restriction par sa volonté de remédier aux graves problèmes de fraude fiscale dont souffre le secteur de la construction. Il estimait donc que la restriction était légitime.

Selon la Cour, le motif invoqué ne peut justifier « l’application de l’obligation de retenue et de la responsabilité solidaire, de manière générale et préventive, à tous les prestataires de services non établis et non enregistrés en Belgique, tandis qu’une partie d’entre eux n’est en principe pas redevable des impôts, des précomptes et des taxes susvisées ».

Considérant que pour atteindre le but visé, la Belgique aurait pu adopter des mesures moins restrictives, la Cour a condamné la disproportion de la législation en cause par rapport à l’objectif poursuivi. Elle a donc estimé que la Belgique avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 50 du Traité CE.

En pratique, cela signifie qu’un entrepreneur non enregistré et établi sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne peut valablement prester des services en Belgique sans que son commettant doive craindre l’application du régime susmentionné.

Si cette jurisprudence doit être approuvée dans les principes, elle laissera très certainement un goût amer aux entrepreneurs belges. En effet, elle a directement pour conséquence de favoriser leurs concurrents européens, pour lesquels aucune formalité n’est nécessaire, alors que les dispositions critiquées leur seront toujours applicables.

Afin de rétablir cet équilibre, une intervention législative paraît indispensable.

Auteur : Mikaël GOSSIAUX

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