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En l’absence de droit exclusif sur une partie d’un immeuble, il ne peut être question de location immobilière

De manière générale, toutes les prestations de service et toutes les livraisons de biens effectuées par des assujettis sont soumises à la T.V.A. La location immobilière constitue toutefois une exception.

Ceci entraîne généralement un surcoût pour un bailleur, puisqu’il ne peut pas déduire la T.V.A. qu’il a payée en amont, lors de la construction ou lors de la rénovation de l’immeuble donné en location et ce en raison du fait que l’immeuble en question n’est pas destiné (dans son chef) à des opérations soumises à la T.V.A. Ce surcoût est ensuite répercuté sur le locataire qui doit dès lors payer un loyer plus important.

Différentes tentatives ont été menées pour contourner cet obstacle et pour pouvoir soumettre malgré tout une mise à disposition d’immeuble à la T.V.A. La Cour de justice de l’Union Européenne et les juridictions belges ont dû à plusieurs reprises préciser les contours de la location immobilière au sens de la législation européenne.

Dans une affaire qui vient d’être jugée (arrêt du 15 juin 2011), la Cour d’appel de Bruxelles s’est penchée sur une des conditions essentielles pour qu’une telle mise à disposition d’immeubles puisse être soumise à la T.V.A., à savoir l’absence d’occupation de l’immeuble à titre exclusif.

Une société bruxelloise (appelons la X) avait réalisé des travaux d’aménagement d’un immeuble et avait déduit la T.V.A. qui lui avait été facturée sur lesdits travaux. Cette société a conclu avec trois sociétés sœurs (A, B et C) des conventions («convention de mise à disposition ») par lesquelles elle autorisait «le cessionnaire à exercer dans l’immeuble (… ndlr – une activité), selon une affection décidée par le Conseil d’Administration de (X), sans que le cessionnaire ait un droit particulier sur l’une ou l’autre partie de l’immeuble ».

Le règlement d’ordre intérieur prévoyait toute une série de dispositions réglant les relations entre les différents occupants. Les conventions ont été conclues « pour la durée des activités du cessionnaire » et il avait été convenu que « Sur instruction du Conseil d’Administration de (X), le cédant pourra à tout moment exiger du cessionnaire qu’il libère l’espace qui lui a été concédé, sans préavis ni indemnité quelconque ».

Le prix hors T.V.A. avait été fixé en tenant compte de la superficie occupée à l’intérieur du bâtiment, du nombre d’emplacements de parking, d’un pourcentage du chiffre d’affaires et du nombre de personnes occupées. L’administration a estimé que cette mise à disposition devait être qualifiée de location immobilière exonérée de la T.V.A. et a rejeté les déductions de T.V.A. opérées par la société X.

Le premier juge saisi ayant donné droit à la société X, l’administration a interjeté appel. La Cour d’appel de Bruxelles a ensuite posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, qui a répondu ce qui suit :

«L’article 13, B, sous b), de la sixième directive (…) doit être interprété en ce sens que constituent des opérations de ‘location de biens immeubles’ au sens de cette disposition des opérations par lesquelles une société octroie simultanément, par des contrats différents à des sociétés qui lui sont liées, un droit précaire d’occupation sur le même immeuble contre le paiement d’une indemnité fixée principalement en fonction de la surface occupée et lorsque ces contrats, tels qu’ils sont exécutés, ont essentiellement pour objet la mise à disposition passive de locaux ou de surfaces d’immeubles, moyennant une rémunération liée à l’écoulement du temps et non une prestation de service susceptible de recevoir une autre qualification » (arrêt du 18 novembre 2004).

Par cet arrêt, la Cour de justice a présenté une nouvelle approche de la notion de location immobilière, revenant sur sa jurisprudence antérieure.

L’affaire est ensuite revenue devant la Cour d’appel de Bruxelles qui a confirmé le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, donnant ainsi tort à l’administration.

La Cour de justice avait rappelé qu’il appartenait à la juridiction nationale saisie de la question de vérifier si les conventions, telles qu’elles ont été exécutées, ont essentiellement pour objet la mise à disposition passive de locaux ou de surfaces d’immeubles, moyennant une rémunération liée à l’écoulement du temps ou si elles mettent en œuvre une prestations de service susceptible de recevoir une autre qualification.

La Cour de justice avait précisé que le fait que le « bailleur » pouvait régulièrement visiter l’ensemble et le fait que des parties communes étaient utilisées en commun avec d’autres occupants ne dénaturait pas la notion d’occupation d’immeuble à titre exclusif. La Cour d’appel s’est fondée essentiellement sur un avenant prévoyant que l’utilisation des dépôts et ateliers était répartie en fonction des surfaces et non géographiquement. Les différentes sociétés pouvait ainsi exercer leur activité à n’importe quel endroit du bâtiment à la condition de ne pas dépasser la capacité qui leur était attribuée. La Cour d’appel a également retenue que les sociétés A et B pouvaient utiliser de manière non exclusive les mêmes ateliers et les mêmes machines, sans qu’aucune d’entre elles ne puisse se prévaloir d’une exclusivité. Après avoir rappelé que les trois conventions ne faisaient pas référence les unes aux autres et que chacune des sociétés était un tiers par rapport aux conventions passées entre X et les autres sociétés, la Cour d’appel a estimé que lesdites sociétés n’avaient pas le « droit d’exclure l’occupation » des autres sociétés.

La Cour d’appel a ainsi conclu que les trois sociétés en question ne bénéficiaient pas d’un droit d’occupation exclusif et qu’il ne pouvait dès lors s’agir d’une location immobilière exonérée de la T.V.A.

L’administration avait également soutenu que le procédé utilisé en l’espèce devait être considéré comme une pratique abusive (conformément à la jurisprudence Halifax de la Cour de justice) dont la constatation devait conduire au remboursement des taxes indument déduites, outre au paiement d’amendes et d’intérêts.

En quelques mots, la Cour d’appel a jugé que la location d’immeuble et les conventions passées entre les parties avaient des conséquences juridiques différentes et que ces conventions ne contrevenaient pas à l’objectif poursuivi par la législation applicable. Enfin, la Cour d’appel a estimé que même si la société X a déterminé son choix (de contrat) en tenant compte de considérations de nature fiscale, ce but fiscal n’était pas essentiel (la société X avait justifié le choix de l’occupation précaire par différents considérations de fait).

En conclusions, la Cour d’appel de Bruxelles a considéré qu’il s’agissait bien là d’opérations soumises à la T.V.A. Cet arrêt n’est pas encore coulé en force de chose jugée.

On peut se demander s’il est possible d’envisager, sur base de cette jurisprudence, des conventions de mise à disposition d’immeuble sans prévoir une exploitation exclusive de locaux en vertu des différents occupants et soumette cette mise à disposition à la T.V.A. En premier lieu, il convient d’être prudent car les différents occupants ne devront réellement pas bénéficier d’espaces privatifs à l’exclusion d’autres occupants. Cela risque de ne pas être pratique, même si cet inconvénient est réduit lorsqu’il s’agit de sociétés liées. Il est évident qu’il ne peut être question d’établir des contre-lettres prévoyant que les occupants pourront malgré tout avoir un droit exclusif pour occuper tel ou tel local. On pourrait éventuellement prévoir que les différents occupants d’un même immeuble peuvent s’entendre entre eux, quant à l’utilisation de tel ou tel autre espace à l’intérieur d’un bâtiment.

Cet arrêt confirme que, même en dehors du leasing immobilier ou de la mise à disposition d’immeuble complexes (accompagné de diverses prestations), si un certain nombre de conditions sont réunies, il reste possible de soumettre la mise à disposition d’immeuble à la T.V.A.

Thème : L'immobilier

Auteur : Tristan Krstic

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