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Prescription du recouvrement: arrêts de la cour d'arbitrage

La Cour d’arbitrage a été saisie de plusieurs recours en annulation de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, visant l’interruption de la prescription en matière d’impôt sur les revenus, qui prévoit désormais que le commandement en matière fiscale « doit être interprété comme constituant également un acte interruptif de prescription, même lorsque la dette d’impôts contestée n’a pas de caractère certain et liquide » (loi-programme du 9 juillet 2004, Moniteur belge, 15 juillet 2004, p. 55579).

Cette loi-programme du 9 juillet 2004 semble avoir apporté une « solution » à l’administration fiscale, afin de remédier à l’effet « indésirable » de la jurisprudence développée par la Cour de cassation suite aux deux arrêts précités, datés des 10 octobre 2002 et 21 février 2003, abordés dans un précédent IDEFISC.

L’on s’est dès lors interrogé sur la validité de l’adoption de cette loi-programme qui, s’il s’agissait effectivement d’une loi interprétative,  devrait faire en sorte que la loi qu’elle tente à interpréter sera réputée avoir eu, dès l’origine, le sens que lui confère la loi interprétative.

Par un premier arrêt du 7 décembre 2005, long de 56 pages, la Cour d’arbitrage a rejeté un premier ensemble de recours, estimant que le législateur pouvait, par le biais d’une disposition interprétative, préciser les conditions d’application d’une disposition  législative et que, dès lors qu’une disposition interprétative conférait à la disposition interprétée le sens qu’elle est censée avoir eu dès l’origine, cette interprétation ne pouvait toutefois aboutir à créer une distinction dans la signification de la disposition en fonction de son champ d’application.

La Cour poursuit en estimant que, si l’article 49 précité vise à résoudre un problème qui ne se pose qu’en droit fiscal, ce problème ndécoule en réalité de l’inadéquation de la référence qui est faite dans l’ancien article 145 de l’A. R./CIR 1992 – contenant le principe de la prescription du droit au recouvrement de l’impôt par cinq ans, sous réserve d’interruption - au mode d’interruption de la prescription déterminé par l’article 2244 du Code civil.

La Cour précise que ce problème d’inadéquation ne peut, selon elle, être résolu en interprétant la notion de commandement contenue dans l’article 2244 du Code civil et en limitant cette interprétation à la matière des impôts sur les revenus et qu’en ce sens  la disposition entreprise – l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 – ne peut être considéré comme étant une disposition interprétative.

La Cour d’arbitrage estime de plus que les arrêts prononcés en la matière par la Cour de cassation ont eu pour conséquence de priver d’effet, de manière rétroactive, le mode d’interruption de la prescription communément utilisé en matière d’impôts sur les revenus et qu’une catégorie de contribuables s’est ainsi vue libérée d’une dette qu’ils avaient contestée mais dont il ne pouvait être présumé qu’elle n’était pas due.

Aussi, la Cour d’arbitrage a estimé, dans son arrêt du 7 décembre 2005, que c’est pour neutraliser l’effet rétroactif de la règle jurisprudentielle dégagée par les arrêts précités que le législateur a lui-même adopté une disposition rétroactive qu’elle estime ne pas restreindre de manière disproportionnée les droits des contribuables qui estimaient, jusqu’aux arrêts de la Cour de cassation, que le commandement qui leur avait été signifié avait valablement interrompu la prescription.

La Cour poursuit en précisant que le fait que ces contribuables aient pu, de manière inattendue, espérer bénéficier de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation ne peut priver de justification l’intervention du législateur et qu’il apparaît donc que la mesure est justifiée par des circonstances particulières et exceptionnelles et dictée par des motifs impérieux d’intérêt général. Les contribuables ayant contesté l’impôt qui leur était réclamé n’ont en effet pas, selon la Cour, acquis contre l’Etat un droit de créance égal au montant de l’impôt contesté, ne sont pas davantage privés du droit à un recours effectif ou à un procès équitable puisqu’ils conservent le droit de poursuivre, devant la juridiction compétente, la réclamation qu’ils ont introduite pour contester l’impôt qui leur était réclamé, la loi attaquée ne modifiant en rien le droit fiscal matériel qui s’applique à la procédure pendante.

La Cour d’arbitrage a donc estimé que l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 n’avait aucun caractère interprétatif, mais semble avoir suggéré, qu’il n’y avait selon elle aucune objection à cen que cet article rétroagisse dans le temps, sans cependant prendre position quant au caractère rétroactif éventuel de cet article.

Cette incertitude est toutefois aujourd’hui dissipée, la Cour d’arbitrage ayant rendu un second arrêt, en date du 1er février 2006, par lequel elle précise, en réponse à une question préjudicielle posée par le Juge des saisies de Courtrai, que l’article 49 de la loiprogramme du 9 juillet 2004 a effectivement un effet rétroactif, et que cet effet rétroactif n’est pas  contraire au principe d’égalité garanti par la Constitution.

Après avoir rappelé que l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 ne peut être qualifié de disposition interprétative, la Cour précise que, si aucun article de la loi-programme du 9 juillet 2004 ne confère, de manière expresse, un tel effet rétroactif à la disposition concernée, « tant l’intitulé du chapitre XII de cette loi-programme, dont l’article 49 constitue l’unique article, que les travaux préparatoires […] font apparaître que l’intention expresse du législateur a été de donner à cette disposition une portée rétroactive, de sorte qu’elle doit être considérée comme applicable aux faits qui n’ont pas encore donné lieu à une décision judiciaire passée en force de chose jugée ».

Certains ont vu dans cet arrêt un point final à toute possibilité d’invocation de la jurisprudence  développée par la Cour de cassation, en vertu de laquelle le commandement signifié par l’administration en l’absence d’impôt incontestablement dû ne pouvait produire aucun effet.

L’analyse effectuée par la Cour d’arbitrage est cependant sujette à critiques : en effet, si l’on doit admettre que la loi interprétative du 9 juillet 2004, en son article 49, n’a pas de caractère «interprétatif», comme l’a constaté la Cour d’arbitrage en son arrêt du 7 décembre 2005, comment peut-on cependant en déduire que cette loi, non interprétative, est admise à rétroagir ?

Il n’est de plus pas certain que ce caractère rétroactif reconnu par la Cour sera appliqué, sans aucune hésitation, par les différentes juridictions saisies de litiges relatifs à la prescription du droit de recouvrement de l’administration. En effet, diverses juridictions ont, à ce jour, d’ores et déjà refusé d’appliquer la disposition qualifiée rétroactive contenue dans la loi-programme du 9 juillet 2004.

Divers arguments peuvent en effet encore être invoqués afin de contester le caractère rétroactif de l’article 49 de la loi-programme, en vertu des principes régissant cette matière, découlant notamment de l’article 2 du Code civil, ainsi que de l’analyse des travaux préparatoires de la loi.

Une autre argumentation peut être axée sur le type et la nature du commandement visé par chaque cas d’espèce, la loi-programme n’étant susceptible de s’appliquer qu’aux commandements de payer dans les 24 heures.

Le Tribunal de première instance de Brugge a fait droit à une telle argumentation, par une décision du 1er février 2005, puisqu’il a estimé que si un commandement de payer peut effectivement interrompre la prescription en vertu de l’article 2244 du Code civil, ce commandement ne peut avoir un effet interruptif que lorsqu’il est fondé sur un titre exécutoire. Dès lors, aussi longtemps que l’impôt reste contesté, aucune voie d’exécution ne peut être mise en oeuvre et l’administration fiscale ne dispose pas d’un tel titre exécutoire, rendant inopérant tout commandement de payer, qui ne peut se voir reconnaître aucun effet interruptif de prescription.

Chaque cas d’espèce devra donc donner lieu à un examen concret du commandement signifié par l’administration.

La question est dès lors loin d’être définitivement tranchée, et donnera certainement encore lieu à de nombreuses décisions.

Mélanie Daube

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