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La mesure anti-abus et délais spéciaux d'imposition

L'article 344 § 1er CIR permet à l'Etat belge de considérer que la qualification donnée par les parties à un acte ne lui est pas opposable, si cette qualification est moins imposée qu'une autre qualification, que l'Etat belge appliquera alors à l'acte. La requalification est soumise à différentes conditions : cette nouvelle qualification doit être tout aussi exacte en droit que la première, et doit respecter les effets juridiques de celle-ci. Cette disposition permet donc, dans certaines conditions, à l'Etat belge, de considérer qu'un acte, ou un ensemble d'actes, pourrait recevoir une autre qualification, qui donnerait elle lieu à taxation.

A de nombreuses reprises, l'Etat belge a tenté de requalifier l'opération de rachat d'actions propres par une société, en une distribution de dividendes aux actionnaires.

Un arrêt récent de la Cour d'appel de Gand s'est prononcé tant sur la possibilité de requalification de l'opération, que sur la possibilité, pour l'Etat belge, d'invoquer dans ces circonstances le délai spécial d'imposition prévu à l'article 358 du CIR 1992.

L'application de cet article a pour effet que le délai dans lequel l'Etat belge peut enrôler un impôt est d'un an, à dater notamment d'une demande internationale de renseignements ou d'une action judiciaire qui porterait des éléments à la connaissance de l'Etat belge, indiquant qu'un contribuable n'a pas déclaré des revenus imposables.

L'application de ce délai spécial d'imposition peut avoir des conséquences très lourdes pour le contribuable, car le supplément d'impôt peut être enrôlé bien des années après l'échéance du délai de taxation normal.

A plusieurs reprises, l'Etat belge a tenté d'appliquer le délai spécial d'imposition, lorsque l'opération réalisée par le contribuable pouvait être requalifiée en application de la mesure générale anti-abus.

A notre connaissance, toutes les décisions ont rejeté la position administrative, estimant, avec raison, que la mesure générale anti-abus ne prévoit qu'une requalification de l'opération, cette opération étant par ailleurs parfaitement conforme à la loi.

Dès lors, les délais spéciaux d'imposition, qui ne sont applicables que lorsque le contribuable a contrevenu à la loi fiscale (par exemple en ne déclarant pas certains revenus alors que la déclaration de ceux-ci était obligatoire), ne peuvent être appliqués pour taxer, en dehors des délais normaux d'imposition, un contribuable qui verrait une autre qualification attribuée à son opération par l'Etat belge, tout aussi exacte en droit, mais donnant lieu à un taux d'imposition plus élevé.

L'arrêt de la Cour d'appel commenté ne fait pas exception.

Cependant, à la différence de la majorité des autres arrêts, celui-ci analyse, en termes clairs et concis, tant la question de l'application du délai spécial d'imposition, que celle, surabondante il est vrai, de l'application de l'article 344 §1er CIR 1992 en l'espèce. Après un examen assez détaillé des faits du litige, la Cour décide, en confirmant la jurisprudence antérieure, que les délais spéciaux d'imposition prévus par l'article 358 du Code ne peuvent être appliqués que s'il y a une « contravention » à une disposition légale ; en l'espèce, il se serait agi de la non-déclaration de revenus mobiliers, et donc de l'absence de versement du précompte y relatif.

La Cour considère ensuite que contrairement à l'article 358 du Code, la disposition générale anti-évitement de l'impôt de l'article 344 § 1er implique qu'aucune disposition légale n'a été enfreinte.

La Cour fait ensuite la distinction entre la fraude fiscale, qui peut donner lieu à l'application des délais extraordinaires d'imposition, et l'évitement, licite, de l'impôt, qui peut, dans certaines conditions, donner lieu à l'application de l'article 344 § 1er du Code, mais en aucun cas à l'article 358 précité.

La Cour relève que le rachat d'actions propres faisant l'objet d'un acte notarié, avait été effectué en complète conformité avec les obligations légales du contribuable, tant du point de vue du droit fiscal que du droit des sociétés, compte tenu de la qualification qu'il avait lui même donnée à l'acte, et qui était exacte en droit.

Ces considérations étaient suffisantes pour entraîner l'annulation de l'imposition, pour cause de prescription du délai de taxation.

La Cour a cependant examiné à titre subsidiaire si l'opération réalisée par la société était susceptible de requalification.

Sur ce point, la Cour a considéré à juste titre que l'administration, en requalifiant un acte, doit respecter la réalité juridique que le contribuable a créée, de sorte qu'elle ne peut porter atteinte au contenu et aux conséquences juridiques de l'acte réalisé par le contribuable.

Elle constate ensuite qu'au rachat d'actions propres, sont attachées des conséquences fondamentalement différentes, tant en droit commun qu'en droit fiscal, de celles qui accompagnent la distribution de dividendes. En effet, le rachat d'actions propres conduit, en droit commun, à la diminution du capital social et à la disparition des actions ainsi rachetées, qui sont annulées. Lors d'une distribution de dividendes, il ne peut au contraire être question de diminution de capital ni d'une quelconque modification apportée aux actions.

Les arrêts qui, comme cet arrêt de la Cour d'appel de Gand, analysent l'opération litigieuse en partant de ses conséquences juridiques ne sont pas fréquents ; la plupart des décisions, lorsqu'elles sont saisies d'une question relative à l'application de l'article 344 § 1er du Code, se contentent d'examiner si le contribuable avait des motifs légitimes, de caractère économique ou financier, pour réaliser l'opération en lui donnant la qualification qu'il a lui-même choisie.

Si de tels motifs sont présents, la requalification est certes exclue, car il s'agit d'une exception prévue par l'article 344 § 1er lui-même, mais le juge ne prend pas la peine de se poser la question de savoir si, indépendamment de l'existence desdits motifs, l'acte ou l'opération réalisée par le contribuable était, ou non, susceptible de requalification. Il s'agit pourtant de la condition sine qua non d'application de l'article 344 § 1er du Code.

La manière dont la Cour d'appel de Gand a apprécié cette question doit donc être approuvée.

Auteur : Severine Segier

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