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Les frais professionnels des sociétés : une question préjudicielle intéressante

Il y a plusieurs années déjà, nous dénoncions la jurisprudence développée ces dernières années par la Cour de cassation en matière de frais professionnels des sociétés. Rappelons qu'à la différence des personnes physiques, pour lesquelles toutes les dépenses à fonds perdu n'ont pas obligatoirement un caractère professionnel, mais simplement privé, les frais des sociétés sont nécessairement professionnels, puisque leur patrimoine est affecté exclusivement à une activité professionnelle déterminée.

Par application de l'article 49 du CIR, ces frais professionnels sont en principe déductibles, lorsqu'il s'agit de dépenses volontaires, pour autant qu'ils aient été "supportés en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables". C'est là la seule exigence de l'article 49 du Code.

Par un arrêt du 18 janvier 2001, la Cour de cassation a toutefois décidé "que de la circonstance qu'une société commerciale est un être moral créé en vue d'une activité lucrative, il ne se déduit pas que toutes ses dépenses peuvent être déduites de son bénéfice brut" et "que les dépenses d'une société commerciale peuvent être considérées comme des frais professionnels déductibles lorsqu'elles sont inhérentes à l'exercice de la profession, c'est-à-dire qu'elles se rattachent nécessairement à l'activité sociale".

Pour qu'elle puisse être déduite à titre de frais professionnel, une dépense effectuée par une société devrait donc non seulement être faite "en vue d'acquérir ou de conserver des revenus", mais elle devrait en outre être inhérente à l'exercice de la profession, c'est-à-dire se rattacher nécessairement à l'activité sociale.

Cette jurisprudence de la Cour a été vivement critiquée par la doctrine, dans la mesure où elle ajoute ainsi à la déductibilité à titre de frais professionnel une condition que le texte légal n'impose absolument pas.

Nonobstant ces critiques, la Cour a réaffirmé depuis sa jurisprudence, notamment par ses arrêts des 19 juin et 12 décembre 2003, ainsi que par son arrêt du 9 novembre 2007.

Forte de cette jurisprudence, l'administration fiscale tente de plus en plus fréquemment de contester le caractère déductible de certaines charges des sociétés, au motif que celles-ci ne se rattacheraient pas nécessairement à l'activité sociale.

Cette dérive jurisprudentielle pourrait toutefois connaître prochainement un revirement.

Saisi d'un litige relatif au caractère professionnel des frais d'acquisition et d'aménagement d'un immeuble résidentiel par une société exploitant des bijouteries, le tribunal de première instance de Liège a fort opportunément rappelé que selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il doit exister une corrélation entre la déduction d'une charge et l'imposition du revenu correspondant.

Le tribunal en déduit que "dès lors qu'à l'impôt des sociétés, tout revenu quelconque, même un revenu découlant d'une activité sortant du champ de l'objet social, est imposable en principe, la déduction d'une dépense, dans le chef d'une société, ne devrait donc pas être subordonnée à la condition que la dépense se rattache nécessairement à son objet social, encore moins à son activité réellement exercée".

Ce raisonnement tout à fait logique se heurte toutefois à la jurisprudence susvisée de la Cour de cassation, ce qui conduit le tribunal à poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

"Les articles 49 et 183 du CIR, interprétés comme signifiant qu'une dépense n'est déductible comme charge professionnelle que lorsqu'elle se rattache nécessairement à l'activité de la société ou à son objet social alors que tout revenu quelconque généré par la même société a un caractère professionnel et est en principe imposable violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ?".

La réponse à cette question préjudicielle, fort attendue, pourrait conduire la Cour de cassation à modifier sa jurisprudence et à lui imprimer un sens plus conforme au texte de l'article 49 du Code.

Auteur : Martin Van Beirs

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