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Le régime fiscal belge des droits de mutation par décès : violation du droit communautaire

Lors du décès d’un résident belge, c’est-à-dire ayant établi en Belgique son domicile ou le siège de sa fortune, les droits de succession sont établis sur l’universalité de ses biens, quelque soit le lieu de leur situation, déduction faite de ses dettes.

En revanche, lorsque le défunt n’est pas un habitant du Royaume au moment de son décès, seuls les immeubles lui appartenant et situés en Belgique, seront soumis au «droit de mutation par décès » sans possibilité de déduction des dettes y afférentes.

Il y a donc une différence de traitement importante suivant que le défunt était résident ou non du Royaume au moment de son décès dès lors que dans la succession, on ne tient pas compte des charges qui pèsent sur l’actif imposable.

On peut se demander si une telle différence de traitement est conforme au droit communautaire et plus particulièrement au principe de la libre circulation des capitaux, garanti par l’article 56 du Traité CE.

C’est la question qui a été posée dans l’espèce suivante : une résidente allemande était propriétaire d’un bien immeuble situé en Belgique. Elle avait, à titre de garantie d’une dette contractée en 2002, conféré au créancier un mandat pour hypothéquer ce bien immeuble. Suite à son décès, une déclaration de succession belge a été établie dans a laquelle figurait, à l’actif, le bien immeuble tandis qu’au passif, la déclaration indiquait « nihil » conformément à la législation belge.

Considérant que la législation belge était discriminatoire, les héritiers ont introduit un recours devant les juridictions belges.

Saisie en degré d’appel, la Cour d’appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) : les dispositions du Traité de Rome, en particulier celles relatives à la libre circulation des capitaux, s’opposent-elles à une législation nationale relative à l’imposition des successions (en l’espèce la législation belge) en vertu de laquelle pour déterminer l’assiette imposable à l’impôt dû sur l’acquisition par succession d’un bien immeuble situé sur le territoire de la Belgique, il est permis de prendre en compte certaines charges, telles que des dettes garanties par le droit conféré à un créancier de prendre hypothèque sur ce bien immeuble si, au moment du décès, le de cujus dont le bien immeuble est hérité résidait en Belgique, mais pas si le de cujus résidait dans un autre Etat membre ?

Bien que la CJCE n’ait pas encore rendu son arrêt, l’Avocat général a déjà émis son avis. Dans cet avis, un parallèle est établi avec un arrêt précédemment rendu par la CJCE (l’arrêt BARBIER) aux termes duquel celle-ci a considéré que les mesures interdites par l’article 56 du Traité comprennent celles qui sont de nature à diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un Etat membre autre que l’Etat membre où se trouvent les biens concernés et qui impose la succession desdits biens.

L’Avocat général est d’avis que la législation belge a pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un non-résident du Royaume dans la mesure où il résulte que celle-ci est soumise à une imposition plus élevée que celle qui serait due si le bien immeuble était acquis par succession d’une personne résident au moment de son décès, sur le territoire de la Belgique.

La législation belge est, dès lors, susceptible de restreindre la libre circulation des capitaux. Encore faut-il examiner le point de savoir si une telle restriction peut être justifiée au regard des dispositions du Traité.

En effet, il ressort de la combinaison des articles 56 et 58 § 1 et 3 du Traité CE ainsi que de la jurisprudence de la CJCE qu’une disposition d’une législation nationale restreignant la libre consultation capitaux peut être considérée comme conforme au droit communautaire si elle s’applique à des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

Le principe est la libre circulation des capitaux et toute dérogation à ce principe fondamental doit être interprétée strictement.

En ce qui concerne le critère de comparatibilité, il ressort de la jurisprudence de la CJCE que lorsqu’un Etat membre a décidé d’appliquer une forme particulière d’impôt aux non-résidents aussi bien qu’aux résidents, cela implique que les résidents et les non-résidents soient considérés comme se trouvant alors dans une situation comparable au regard des déductions liées à cette imposition.

Au titre des motifs impérieux d’intérêt général, l’Etat belge entend soutenir que l’enseignement de l’arrêt BARBIER précité de la CJCE ne serait pas transposable en l’espèce compte tenu de la différence de nature du lien existant entre la dette concernée et le bien immeuble : dans l’arrêt BARBIER, la dette consistait en l’obligation de délivrance du droit réel portant sur le bien immeuble transmis par voie de succession consécutivement au transfert par le défunt, en conformité avec le droit hollandais, de la propriété économique de ce même immeuble ; en revanche, en l’espèce, il s’agit d’une dette contractée par le défunt vis-à-vis d’un créancier qui est garantie par un mandat hypothécaire sur ce bien immeuble.

Pour l’Avocat général, cependant, il n’en demeure pas moins qu’il existe un lien en ce que la dette ainsi garantie est en toute hypothèse susceptible de grever ce bien immeuble concerné, qui fait l’objet de l’impôt.

L’Etat belge entend également tirer argument du fait que la prise en compte de la dette pourrait aboutir à une double déduction, en Belgique et dans le pays de résidence du défunt.

Cet argument ne semble cependant pas résister non plus à la jurisprudence de la CJCE. En effet, celle-ci estime qu’un ressortissant communautaire ne saurait être privé de la possibilité de se prévaloir des dispositions du Traité au motif qu’il profite des avantages fiscaux légalement offerts par les normes en vigueur dans un Etat membre autre que celui dans lequel il réside.

L’Avocat général en conclut qu’il n’existe donc pas de motifs impérieux d’intérêt général de nature à justifier la législation belge et, qu’en conséquence, la différence de traitement qu’elle entraîne constitue un moyen de discrimination arbitraire visé par l’article 58, § 3 du Traité CE et par la jurisprudence de la CJCE et est dès lors incompatible avec les dispositions du Traité CE relatives à la libre circulation des capitaux.

Compte tenu de sa jurisprudence antérieure et de l’avis de l’Avocat général, on peut espérer que la CJCE rendra prochainement son arrêt et décidera aux termes de celui-ci que le régime fiscal belge des droits de mutation par décès, en ce qu’il ne permet pas la déduction des charges, viole le principe fondamental de la libre circulation des capitaux.

Magali MARTIN

Thème : Les droits de succession

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