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Cotisation sur commissions secrètes : le point sur la position de la Cour constitutionnelle

En vertu de l’article 219 du Code des impôts sur les revenus, si les dépenses visées par l’article 57 (e.a. commissions, courtages, honoraires, ATN, rémunérations, pensions, remboursements de frais propres à l’employeur, etc.) et/ou certains autres avantages de toute nature, ne sont pas justifiés par la production de fiches individuelles et d’un relevé récapitulatif, une cotisation distincte égale à 100% desdits dépenses, frais et avantages sera établie à charge de la société ; il en va de même si l’administration découvre l’existence de bénéfices dissimulés et/ou des avantages financiers ou de toute nature visés à l’article 53, 24° du Code.

Depuis le début de son existence, cette disposition a fait couler beaucoup d‘encre, notamment pendant la période où le taux de la cotisation était de 300%, porté à 309% après application de la cotisation complémentaire de crise.

Le législateur a justifié ce taux exorbitant par sa volonté de lutter contre les abus et, depuis la modification législative qui a eu lieu en 1994, de dissuader la fraude et de sanctionner le contribuable qui ne respecte pas ses obligations, afin d’éviter des récidives.

L’application de cette disposition a fait l’objet de plusieurs critiques, fondées tantôt sur le taux excessif de la cotisation (malgré le fait que la déductibilité – quand le résultat de la société le permettait - de la cotisation atténuait modérément l’impact de la cotisation sur la société), tantôt sur son caractère injuste, puisqu’elle s’appliquait même dans les cas où le bénéficiaire était connu de l’administration et d’ailleurs imposé sur ces mêmes revenus.

Par ailleurs, à partir d’un certain moment, considérant que cette disposition revêtait un caractère de sanction pénale, les Cours et Tribunaux se sont arrogés le droit de la moduler et/ou la réduire si les circonstances l’exigeaient.

Le législateur a réagi pour la dernière fois par la Loi-programme du 19 décembre 2014, en portant, dans un premier temps, le taux de la cotisation à 100%, voire même dans certains cas à 50%.

De plus, la Loi-cadre a ajouté un alinéa 7, qui prévoit que même en cas de défaut d’une déclaration régulière et spontanée par le bénéficiaire des revenus et avantages visés par l’article 219 (circonstance qui permettait à la société d’éviter l’application de la cotisation distincte), la cotisation distincte ne s’appliquera pas si ce dernier a été identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de 2 ans et 6 mois à partir du 1er janvier de l’exercice d’imposition concerné.

Ce délai de 2 ans et 6 mois a lui-même suscité nombre d’interrogations et questions.

Dans le cadre d’une affaire soumise à la Cour d’appel d’Anvers, l’appelant a soutenu que ledit délai de 2 ans et 6 mois n’était pas raisonnablement justifié au regard des impératifs constitutionnels, aux motifs que :

  • D’une part, le taux avait été fixé en ayant uniquement égard au délai ordinaire d’imposition de 3 ans, alors que le législateur aurait dû tenir également compte des délais extraordinaires d’imposition de 5 (art. 358 du C.I.R. ’92) et 7 ans en cas de commission de fraude fiscale (article 354, alinéa2, du C.I.R. ’92. Ainsi, dans certains cas, la société subissait l’application de la cotisation distincte, alors que le bénéficiaire était quand-même identifié et imposé endéans les délais extraordinaires d’imposition.
  • D’autre part, cette disposition pourrait avoir pour effet que l’administration fiscale établisse une double imposition sur le même avantage : une fois à l’égard de la société et une fois à l’égard du bénéficiaire.

Par un arrêt du 16 octobre 2018, la Cour d’appel d’Anvers a posé une question préjudicielle, aux termes de laquelle elle a interrogé la Cour Constitutionnelle sur la conformité aux principes d’égalité et non-discrimination de la différence de traitement dont fait l’objet une société qui aura octroyé des avantages de toute nature à leur dirigeant d’entreprise sans les mentionner sur une fiche individuelle et sur un relevé récapitulatif, selon que le bénéficiaire de ces revenus a été identifié de manière univoque

  • dans les deux ans et six mois à partir du 1er janvier de l’exercice d’imposition concerné (cotisation distincte non-applicable puisque l’administration a la possibilité d’encore imposer à temps le bénéficiaire des avantages dans le délai d’imposition ordinaire), ou
  • en dehors du délai de deux ans et six mois (cotisation distincte applicable), alors même que l’administration aura déjà effectivement imposé à temps le bénéficiaire).

Dans son arrêt du 26 septembre 2019, la Cour constitutionnelle a d’abord rappelé que, par la loi-programme de 2014, le législateur a voulu conférer à la cotisation distincte un caractère purement indemnitaire et non plus un caractère punitif, de sorte que l’article 219 a dorénavant pour seul objectif de compenser une perte d’impôts sur les revenus dans le chef de l’Etat.

Elle a par la suite également souligné le fait qu’effectivement, le bénéficiaire identifié de manière univoque d’un avantage de toute nature qui n’est mentionné ni sur une fiche ni dans la déclaration peut être soumis à l’impôt applicable afin de pourvoir aux moyens visés pour le Trésor dans un délai, selon le cas et les dispositions légales applicables susmentionnées, de trois, cinq ou sept ans.

Au regard de ces éléments, la Cour a estimé que

  • d’une part, dans la mesure où dans tous ces cas l’administration qui constate un avantage de toute nature non-déclaré est en mesure d’identifier le bénéficiaire de manière univoque et de le soumettre, ou d’avoir la possibilité de le soumettre, à l’impôt dans les différent délais d’imposition légaux précités, il n’est pas raisonnablement justifié, eu égard aux objectifs du législateur, que la personne qui octroie l’avantage soit soumise à une cotisation distincte.
  • d’autre part, la solution inverse conduirait à une double taxation, ce qui va au-delà de l’objectif du législateur qui vise à obtenir simplement la compensation d’une perte de recettes fiscales.

La Cour constitutionnelle a donc réservé à la question préjudicielle une réponse affirmative et dit pour droit qu’en ce que « la non-application de la cotisation distincte est limitée aux cas dans lesquels le bénéficiaire de l’avantage de toute nature a été identifié de manière univoque uniquement dans le délai de 2 ans et 6 mois et ne vaut pas pour les cas dans lesquels le bénéficiaire a été identifié de manière univoque en dehors de ce délai, mais a été effectivement imposé dans les délais d’imposition légaux. », l’article 219, alinéa 7, du C.I.R. ’92 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Cependant, il importe de noter que l’arrêt n’a pas d’effet erga omnes, de sorte que l’alinéa 7 de l’article 219 reste valable, de sorte que les autres juridictions et l’administration fiscale doivent continuer à l’appliquer.

Reste à voir si l’Etat belge procédera à l’amendement spontané de cette disposition ou s’il attendra le cas échéant qu’un recours en annulation, à nouveau possible dans les 6 mois de l’arrêt, soit introduit.

Dans l’attente, les contribuables qui font face à un problème analogue pourront tout de même bénéficier de l’autorité de chose jugée dite « renforcée » des arrêts rendus sur question préjudicielle ; cela implique que si la même question se pose dans le cadre d’un autre litige, le Juge saisi pourra, conformément à l’article 26 de la Loi spéciale, se dispenser d'interroger à nouveau la Cour : ce qui reviendra, en pratique, à appliquer à un problème analogue la solution dictée par l’arrêt commenté…

Auteur : Spyridon Chatzigiannis

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