ours-idefisc

Idefisc — Actualités fiscales

Taxe Caïman  la question de l’application de la taxe aux Sicav-Sif de droit luxembourgeois est tranchée par le SDA.

On le sait, depuis l’exercice d’imposition 2016, un nouveau régime d’imposition est applicable aux «fondateurs» et/ou «bénéficiaires» de «constructions juridiques». C’est ce que l’on nomme, informellement, la «taxe Caïman». En vertu de cette taxe, les «constructions juridiques» visées sont réputées ne pas exister pour la perception de l’impôt des personnes physiques, notamment. Les revenus de ces entités sont, dans cette hypothèse, taxables directement dans le chef de leurs fondateurs et/ou bénéficiaires, lorsque ceux-ci sont résidents belges, comme si la construction n’existait pas. A côté de cette fiction de transparence fiscale totale, une nouvelle imposition dissolution est instaurée, lors de la dissolution de certaines de ces constructions juridiques.

La notion de «construction juridique» vise 2 catégories précises. La première de ces 2 catégories traite des «patrimoines fiduciaires» (l’on vise ici les trusts et autres relations fiduciaires). La seconde catégorie, qui intéresse notre propos, vise « Toute société, association, établissement, organisme ou entité quelconque, qui possède la personnalité juridique et qui, en vertu des dispositions de la législation de l’État ou de la juridiction où il est établi, soit, n’y est pas soumis à un impôt sur les revenus, soit, y est soumis à un impôt sur les revenus qui s’élève à moins de 15 % du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l’impôt belge sur les revenus correspondants ».

Le législateur instaure, immédiatement après cette définition de la construction juridique de «catégorie 2», une exception, puisqu’il précise qu’« A l’exception des cas déterminés par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les formes juridiques visées à l’alinéa 1er qui sont établies dans un État où une juridiction qui fait partie de l’Espace économique européen ne constituent pas des constructions juridiques ».

L’on distingue dès lors le sort des constructions juridiques de «catégorie 2» selon qu’elles sont ou non établies sur le territoire de l’Espace Economique européen (EEE). Pour les entités de EEE, il faut qu’un Arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres identifie la construction comme étant visée par la taxe, pour celle-ci puisse donner lieu à l’application du régime de transparence fiscale totale, ainsi qu’à l’application éventuelle de la nouvelle imposition de dissolution. Si une telle construction est identifiée dans un tel Arrêté royal, elle sera présumée, de manière irréfragable (sans possibilité de preuve contraire) être soumise à un régime de taxation notablement plus avantageux que le régime belge (la loi fait référence ici à un impôt sur les revenus qui s’élève à moins de 15% du revenu imposable de cette construction juridique, « déterminé conformément aux règles appliquées pour établir l’impôt belge sur les revenus correspondants »).

Un Arrêté royal a été adopté à la date du 18 décembre 2015, et reprend les entités situées dans l’EEE qui sont présumées être visées par la taxe, sans possibilité de preuve contraire. Cet Arrêté royal identifie, précisément, pour le Liechtenstein, la Stiftung et l’Anstalt, et pour le Luxembourg, la société de gestion de patrimoine familial et la fondation patrimoniale.

A priori, la Sicav-Sif constituée sous l’égide du droit luxembourgeois n’entre pas dans le champ d’application de la taxe caïman, puisque son siège se trouve au Grand-duché de Luxembourg, qui fait bien partie de l’EEE, et qu’elle ne se trouve pas reprise sur la liste fournie par l’Arrêté royal du 18 décembre 2015.

Ce même Arrêté royal du 18 décembre 2015 (publié au Moniteur belge du 29 décembre 2015) précise cependant que sont également qualifiées «constructions juridiques», «les institutions, entités et sociétés visées à l’article 2, § 1er, 13/1, al. 2 du CIR 92». Ce dernier article a quant à lui été inséré dans le Code des impôts sur les revenus (CIR92) par une loi du 26 décembre 2015, qui, si l’on suit les commentaires formulés par le Ministre des Finances, à l’époque de son adoption, avait clairement pour objectif de rendre les Sicav-Sif de droit luxembourgeois transparentes, et dès lors visées par la taxe caïman.

Ainsi, l’article 2, § 1er, 13/1, al. 2 CIR92 vise les sociétés cotées, les organismes de pensions, et les organismes de placements collectifs (OPC) publics ou institutionnels, voire alternatif. La loi de décembre 2015 inclut ces entités (OPC) dans les constructions juridiques visées par la taxe, si « les droits sont détenus par une personnes, ou plusieurs personnes liées entre elles, le cas échéant considérées distinctement par compartiment ».

Si depuis l’adoption de cette loi, le Ministre des Finances a confirmé, à plusieurs reprises, et notamment dans une déclaration faite à la Chambre à la date du 18 mai 2016, que la taxe de transparence vise effectivement les fonds d’investissements dits « dédiés » (c’est-à-dire dont les droits sont détenus par un nombre limité de personnes, généralement liées entre elles, notamment dans le cadre d’un fonds d’investissements spécialisé de droit luxembourgeois ayant pris la forme d’une société d’investissements à capital variable (Sicav-Sif)), la question restait débattue, sur le plan juridique.

En effet, le texte légal tel qu’il ressort de la loi du 26 décembre 2015, ne permet pas, a priori, d’aboutir à la même conclusion que celle formulée par le Ministre.

Le texte initial de la loi du 10 août 2015, ayant introduit en droit belge la «taxe caïman», permettait d’écarter l’application du régime de la transparence aux Sicav de droit luxembourgeois, quel que soit leur actionnariat, puisqu’il s’agit d’entités établies dans l’EEE, non reprises dans l’Arrêté royal prévoyant la liste d’exceptions. Cette exclusion de principe de la transparence pour de telles entités établies dans l’EEE n’a pas été modifiée par le législateur de décembre 2015.

Le texte d’août 2015 prévoyait en outre, pour les entités cette fois établies en dehors de l’EEE, et par principe visées par la taxe, diverses exceptions, notamment au profit de certaines Sicav, et/ou OPC, publics ou institutionnels, fonds de pensions ou sociétés cotées en bourse. Par l’effet de cette exception, ces entités établies hors de l’EE n’étaient pas visées par la taxe de transparence. Lorsqu’il a instauré l’article 2, §1er, 13/1, al. 2, cité ci-dessus, le législateur de décembre 2015 s’est donc limité à prévoir une exception à cette exception, engendrant en conséquence l’application de la taxe de transparence à des entités établies en dehors de l’EEE, qui en principe devraient bénéficier de l’exception de non transparence instaurée par le texte d’août 2015, mais qui n’en bénéficient pas, parce que ces entités sont contrôlées par une personne, ou une famille au sens de la loi.

A nouveau, rien ne permet de considérer que par cette modification législative de décembre 2015, les fonds d’investissements « dédiés » (tels les Sicav-Sif) sont désormais visés par le régime de transparence. A cet argument, qui pourrait déjà paraître suffisant, certains ont ajouté que par ailleurs, de telles entités « privées » ne réuniraient pas les conditions pour être considérées comme des OPC publics ou institutionnels, ou des OPC alternatifs publics ou institutionnels, visés, mais uniquement eux, par la loi de décembre 2015.

Dès lors que ces principes sont acquis, ou doivent l’être, l’Arrêté royal du 18 décembre 2015, qui traite exclusivement d’entités établies au sein de l’EEE, ne pouvait reprendre, dans sa liste d’exceptions, « les institutions, entités et sociétés, visées à l’article 2, § 1er, 13/1, al. 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 », puisque cet article ne vise que les entités établies en dehors de l’EEE !

L’on doit cependant y voir, sans aucun doute, la volonté de l’administration fiscale d’interpréter les textes existant dans le sens exposé par le Ministre des Finances, qui persiste à considérer que les « fonds dédiés », ou les « compartiments dédiés » de tels fonds, tombent dans le champ d’application de la taxe de transparence…

C’est cette conclusion que vient de confirmer le Service des Décisions Anticipées de l’administration fiscale, par une décision du 14 mars 2017. La décision n’aborde en rien cette incohérence entre la loi du 26 décembre 2015 et l’Arrêté royal du 18 décembre 2015, puisque l’administration conclut simplement en ces termes : « Bien que cet article [l’article 2, § 1er, 13/1, al. 2 du CIR 92] ne le mentionne pas explicitement, il ressort de la question parlementaire 11276 et 11277 de Monsieur Vanvelhoven que les fonds privés sont également visés par cet article [Q.P. n° 11276 et 11277, M. VANVELHOVEN, Cirv. 54 COM. 421] …En conclusion, le fond sera considéré comme une construction juridique, dès lors qu’il est détenu par des personnes liées au sens de l’article 2, § 1er, 13/1, al. 3 CIR 92 ».

Suivant ainsi son Ministre, l’administration fiscale confirme dès lors l’applicabilité de principe de la « taxe caïman » à la situation d’un « fonds dédié », telle une Sicav-Sif de droit luxembourgeois.

Il faut noter qu’en l’espèce, au terme de son examen du cas soumis, le Service des Décisions Anticipées a considéré que la situation qui lui était soumise devait être considérée comme « hors champ » de la taxe caïman, au motif que les conditions exigées pour l’application de l’exception contenue sous l’article 2, §1er, 13/1, al. 2 CIR92 n’étaient pas remplies (puisque le fonds n’était détenu ni par un actionnaire unique, ni par un plusieurs actionnaires ayant tous entre eux un lien de famille jusqu’au 4e degré, ni par plusieurs actionnaires ayant tous entre eux un lien de mariage ou de cohabitation de fait ou légale, ni encore par un ou plusieurs actionnaires qui exerce (nt) le contrôle sur le fonds au sens de l’article 5 du Code des sociétés. La situation exposée ne faisait en effet apparaître ni un contrôle de droit, présumé exister de manière irréfragable par l’article 5, § 2 du Code des sociétés, ni un contrôle de fait résultant d’autres éléments, ni même encore un contrôle conjoint qui, bien évidemment, ne peut se concevoir qu’entre un nombre limité d’associés.

Il est évident que l’on ne peut se satisfaire de la décision du 14 mars 2017 du Service des Décisions Anticipées en matière fiscale. Cette position n’est pas conforme à la législation. En cela, elle est critiquable.

L’on doit toutefois y voir l’attitude qu’adoptera l’administration fiscale à chaque fois qu’elle sera confrontée à telle situation d’un « fonds privé », par exemple en présence d’une Sicav-Sif de droit luxembourgeois.

La prudence conduira dès lors l’investisseur qui souhaite avoir recours à ce type d’entité, ce qui n’est en rien illégal, à s’assurer, a priori, que son investissement se trouve « hors champ » de la taxe caïman.

Auteur : Melanie Daube

ours-idefisc
Idefisc — Actualités Fiscales
©2003-2020 Idefisc & Words and Wires W3validator