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La réforme du régime du remploi : des problèmes en cascade

Le mécanisme du remploi a été introduit dans le Code des impôts sur les revenus par une loi de 1989, entrée en vigueur en 1990.

Le bénéfice de ce mécanisme, prévu par l’article 47 du Code, est susceptible d’être invoqué par tout contribuable soumis à l’impôt des sociétés, qui aura réalisé une plus-value suite à l’aliénation volontaire ou forcée d’une immobilisation corporelle ou incorporelle, reprise à l’actif de la société depuis au moins 5 ans.

Dans ce cas, la société aura la faculté d’éviter l’imposition de l’intégralité de la plus-value (considérée comme un produit exceptionnel, imposable en tant que bénéfice) en une fois, et d’opter pour la taxation différée de celle-ci, échelonnée sur la durée des amortissements admis sur les biens acquis en remploi.

Pour ce faire, la société devra remployer l’intégralité du produit de l’aliénation en immobilisations incorporelles ou corporelles, utilisées en Belgique pour l’exercice de l’activité professionnelle ; exceptionnellement, lorsque le remploi d’une plus-value volontaire portera sur un immeuble bâti, un navire ou un aéronef, le délai sera porté à 5 ans.

Le mécanisme du remploi présente un intérêt évident, dans la mesure où il permet la taxation étalée du bénéfice réalisé suite à la réalisation d’une plus-value, et ce sur une durée plus ou moins longue, plutôt qu’en une seule fois.

L’article 47 du Code fut ainsi appliqué pendant plus de 20 ans, jusqu’au moment où, suite à la réception en avril 2011 d’un Avis motivé adressée à la Belgique par la Commission Européenne, le législateur belge fut bien obligé de constater, et de réparer, l’atteinte latente que cette disposition portait aux libertés d'établissement, de libre prestation des services et de libre circulation des capitaux, ainsi qu’à certaines dispositions de Accord sur l'Espace Economique Européen.

En effet, le bénéfice de l’article 47 n’était alloué que si l’immobilisation faisant l’objet du remploi était utilisée en Belgique (par exemple, dans le cas d’un remploi portant sur un immeuble, - cas le plus courant - celui-ci devait donc être situé en Belgique).

L’article 47, §2 du Code a ainsi été modifié par une loi du 7 novembre 2011 portant des dispositions fiscales et diverses, et prévoit désormais qu’il peut porter sur des immobilisations incorporelles ou corporelles amortissables, utilisées dans un Etat membre de l’Espace économique européen.

L’illégalité au droit européen a ainsi été réparée mais, d’emblée, un premier problème a été décelé : comme la loi nouvelle ne s‘applique qu’aux plus-values réalisées à partir de l’année civile 2011, les contribuables qui ont réalisé des plus-values avant 2011 et dont le délai pour remployer n’avait pas expiré au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sont toujours privés de la faculté de remployer ailleurs qu’en Belgique.

L’examen attentif du texte révèle un second problème, susceptible d’affecter la situation des sociétés qui seront en droit d’invoquer la loi nouvelle.

Considérons, aux fins d’illustrer notre propos, le cas d’une société qui, après avoir réalisé une plus-value, en procédera au remploi en faisant l’acquisition, par exemple, d’un immeuble de bureaux sis dans l’Espace Economique Européen ; pour les besoins, de notre exemple, cet immeuble sera présumé fiscalement amortissable.

Quel sort sera réservé à la plus-value initialement réalisée ?

Nous rappellerons qu’en application des dispositions habituellement contenues dans les différentes conventions préventives de double imposition conclues par la Belgique, les bénéfices d'une entreprise belge réalisés à l’étranger sont, en principe, imposables en Belgique. Dans cette hypothèse, l’immeuble, sera amorti normalement et la plus-value réalisée sera imposée au rythme de ces amortissements (par exemple, sauf accord spécial avec l’administration fiscale, un immeuble de bureaux sera amorti en 33 ans, de sorte que la plus-value sera imposée chaque année à concurrence de 1/33ème). La mise en œuvre du mécanisme de remploi sera dans ce cas aisée.

Cependant, dans certains cas, les bénéfices de notre société belge seront imposés à l’étranger.

Il en ira ainsi si la société exerce son activité dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable y situé, c’est-à-dire si elle y dispose d’une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle elle exerce tout ou partie de son activité (par exemple : un siège de direction, une succursale, une usine, un bureau, etc.).

Dans cette hypothèse, les bénéfices attribuables à l’établissement stable seront imposables dans l’état où est situé l’établissement stable.

Dans la mesure où la société devra payer un impôt sur les bénéfices en raison de son installation dans cet autre Etat, elle sera amenée, pour diminuer son bénéfice imposable, à amortir l’immeuble ; corrélativement, l’immeuble ne sera pas amorti en Belgique.

C’est dans ce cas de figure précis qu’un problème, important nous semble-t-il, se posera.

En effet, par le fait de la réalisation du remploi, la plus-value réalisée ne sera pas immédiatement taxée en Belgique en son intégralité.

Suivant l’article 47du Code, elle devra néanmoins l’être de manière échelonnée sur la durée des amortissements admis sur les biens acquis en remploi.

Or, dans le cas d’espèce examiné, il n’y aura pas d’amortissements admis, à tout le moins pas en Belgique.

De quelle manière cette plus-value pourrait-elle taxée, en l’absence de texte légal susceptible de s’appliquer dans pareil cas ?

Dans l’état actuel des choses, cette taxation apparaît légalement impossible puisqu’en l’absence d’amortissements admis en Belgique, il sera impossible de déterminer la base imposable.

En effet, celle-ci consiste normalement en une fraction de la plus-value, dont le dénominateur est le nombre d’années pendant lesquels l’amortissement du bien aura lieu ; or, à défaut d’amortissement, le dénominateur ne pourra être que 0...

Concrètement, la plus-value ne pourra être taxée en Belgique et, concomitamment, le bien sera amorti à l’étranger.

Il s’agit ici d’un cas, à notre connaissance, unique en droit fiscal belge où, alors que la matière imposable est clairement déterminée par une loi, la taxation apparaît, a priori, impossible en raison du fait que le taxateur ne sera pas en mesure, à défaut de texte légal pertinent, de déterminer la base imposable.

Gageons que la réaction de l’administration ne va pas tarder, à moins naturellement que certains contribuables audacieux ne se montrent plus rapides…

Auteur : Spyridon Chatzigiannis

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