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Des frais professionnels "inhérents" à l'activité ou à l'objet des sociétés

Depuis plusieurs années, la doctrine se bat contre la jurisprudence de la Cour de cassation issue de son arrêt du 18 janvier 2001, selon laquelle une dépense effectuée par une société ne peut être déduite à titre de frais professionnel que pour autant qu'elle soit faite "en vue d'acquérir ou de conserver des revenus", comme l'indique expressément l'article 49 du CIR, mais en outre qu'elle soit inhérente à l'exercice de la profession, c'est-à-dire qu'elle se rattache nécessairement à l'activité sociale.

Selon la doctrine, dans la mesure où tout revenu quelconque perçu par une société, même un revenu découlant d'une activité sortant du champ de son objet social, est imposable à l'impôt des sociétés, la déduction d'une dépense, dans le chef de cette même société, ne devrait donc pas être subordonnée à la condition que la dépense se rattache nécessairement à son objet social ou à son activité.

Cette doctrine s'appuie non seulement sur les termes des articles 49 et 183 du CIR, qui ne contiennent aucune référence à l'objet social de la société, mais également sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui exige une corrélation entre la déduction d'une charge et l'imposition du revenu correspondant.

Le tribunal de première instance de Liège, confronté à cet antagonisme entre la jurisprudence de la Cour de cassation et cette doctrine à laquelle il entendait manifestement se rallier, a posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

"Les articles 49 et 183 du CIR, interprétés comme signifiant qu'une dépense n'est déductible comme charge professionnelle que lorsqu'elle se rattache nécessairement à l'activité de la société ou à son objet social alors que tout revenu quelconque généré par la même société a un caractère professionnel et est en principe imposable violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ?".

Par son arrêt du 26 novembre 2009, la Cour constitutionnelle a malheureusement répondu par la négative à cette question.

Selon la Cour, l'article 49 du CIR "subordonne la déductibilité en cause à la condition que les frais qu'il vise soient faits ou supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables, ce qui exclut les frais faits ou supportés à d'autres fins telles que celle d'agir dans un but désintéressé ou de procurer sans contrepartie un avantage à un tiers ou celles, compte tenu du principe de la spécialité des personnes morales, étrangères à l'activité ou à l'objet social de celles-ci".

La Cour constitutionnelle conforte ainsi la jurisprudence susvisée de la Cour de cassation.

Mais la Cour constitutionnelle paraît aller encore plus loin dans le raisonnement, en se référant au principe de la spécialité des personnes morales, en vertu duquel les actes accomplis par les mandataires de sociétés en dehors de l'objet social engagent la responsabilité de ceux-ci vis-à-vis de la société.

Ce principe, propre au droit des sociétés, n'a toutefois qu'un effet purement interne, dans la mesure où le Code des sociétés prévoit expressément que vis-à-vis des tiers – dont l'administration fiscale – la société est liée, même par les actes qui excèdent son objet social. On reste dès lors plus que dubitatif sur le raisonnement adopté par la Cour constitutionnelle, qui fait du respect du principe de spécialité des personnes morales une condition sous-jacente de l'article 49 du CIR.

Plus étonnant encore : la Cour constitutionnelle soutient que "le législateur a pu à cet égard considérer qu'il ne se justifiait pas d'accorder un avantage fiscal aux contribuables à l'impôt des sociétés qui engagent des frais à des fins étrangères à leur objet social".

Or, interpréter une disposition au travers des intentions du législateur suppose que le texte de cette disposition ne soit pas clair, ce qui ne paraît nullement être le cas de l'article 49, et ce que la Cour ne constate du reste pas. Et quand bien même l'article 49 devrait être interprété, il conviendrait alors de respecter le principe de l'interprétation stricte des lois fiscales, concrétisé par l'adage "in dubio contra fiscum".

On peut imaginer sans peine les dérives auxquelles pourrait conduire cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle, laquelle valide de la sorte une pratique administrative illégale qui ajoute à la loi en exigeant que soit remplie la condition d’« inhérence ».

Auteur : Martin Van Beirs

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