ours-idefisc

Idefisc — Actualités fiscales

La Cour européenne de justice condamne l’insécurité juridique belge

Dans le cadre de l’affaire C-318/10, qui a donné lieu à l’arrêt SIAT du 5 juillet 2012, la Cour européenne de justice a eu à se prononcer sur la conformité au principe de la libre prestation des services de l’article 54 CIR 1992, suite à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation.

Selon cet article, les rémunérations de prestations ou de services qui sont effectuées par des contribuables belges au profit de contribuables établis dans un autre Etat membre, dans lequel ces derniers ne sont pas soumis à un impôt sur les revenus ou y sont soumis, pour les revenus concernés, à un régime de taxation notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique, ne sont pas considérées comme des frais professionnels déductibles, à moins que le contribuable belge n’apporte la preuve que ces rémunérations ne correspondent à une opération réelle et sincère et qu’elles ne dépassent pas les limites normales.

L’article 54 CIR 1992 constitue ainsi une restriction à la règle générale relative à la déduction des frais professionnels, contenue à l’article 49 CIR 1992, selon laquelle des frais sont déductibles au titre des frais professionnels s’ils sont nécessaires pour acquérir ou conserver les revenus imposables et si le contribuable en démontre la réalité et le montant.

Il va de soi que la règle contenue à l’article 54 CIR 1992 est susceptible de dissuader les contribuables belges d’exercer leur droit à la libre prestation des services et de recourir aux services de prestataires établis dans un autre Etat membre et ces derniers d’offrir leurs services à des destinataires établis en Belgique. Il s’ensuit indubitablement une restriction à la libre prestation des services.

Il en va d’autant plus ainsi que le champ d’application de la disposition incriminée n’est pas déterminé avec une précision suffisante au préalable. Dans une situation où le prestataire des services est établi dans un Etat membre autre que la Belgique et y est soumis à un régime de taxation plus avantageux que celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique, il n’est pas certain que ledit régime sera pour autant considéré comme un « régime notablement plus avantageux ».

La Cour est d’avis qu’une législation telle que celle en cause serait toutefois propre à atteindre les objectifs de prévention de la fraude et de l’évasion fiscales, de la sauvegarde de l’efficacité des contrôles fiscaux et de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les Etats membres, lesquels sont susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services. Il faut néanmoins que cette mesure n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

Pour être considérée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir des pratiques abusives, une législation doit se fonder sur un examen d’éléments objectifs et vérifiables pour déterminer si une transaction présente le caractère d’un montage purement artificiel uniquement à des fins fiscales et, dans chaque cas où l’existence d’un tel montage ne peut être exclue, mettre le contribuable raisonnablement en mesure de produire des éléments concernant les éventuelles raisons commerciales pour lesquelles cette transaction a été conclue.

A cet égard, la Cour rappelle que « ni les motifs fiscaux ni la circonstance que les mêmes opérations auraient pu être effectuées par des prestataires établis sur le territoire de l’Etat membre où est établi le contribuable ne sauraient, à eux seuls, permettre de conclure à l’absence de la réalité et de la sincérité des opérations » et que « lorsque la transaction en cause dépasse ce que les sociétés concernées auraient convenu dans des circonstances de pleine concurrence, afin de ne pas être considérée comme disproportionnée, la mesure fiscale correctrice doit se limiter à la fraction qui dépasse ce qui aurait été convenu dans de telles circonstances ».

Or, l’article 54 CIR 1992 impose de justifier la réalité et la sincérité de toutes les prestations ainsi que de prouver le caractère normal de toutes les rémunérations y afférentes, sans que l’administration soit tenue de fournir un commencement de preuve de fraude ou d’évasion fiscales. Il peut être appliqué en l’absence de tout critère objectif et vérifiable par des tiers et pouvant servir d’indice de l’existence d’un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national, seul le niveau d’imposition du prestataire de services dans l’Etat où il est établi étant pris en compte.

Tel que la Cour l’a déjà relevé, une telle norme ne permet pas de déterminer au préalable et avec la précision suffisante le champ d’application de celle-ci et laisse de ce fait subsister des incertitudes quant à son applicabilité à chaque cas d’espèce.

L’article 54 CIR 1992 « ne satisfait pas, par conséquent, aux exigences de la sécurité juridique qui exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables ». Or, « une règle ne satisfaisant pas aux exigences du principe de sécurité juridique ne saurait être considérée comme proportionnée aux objectifs poursuivis ». L’article 54 CIR 1992 n’est donc pas conforme au principe de la libre prestation des services au niveau européen.

Par cet arrêt, ce n’est pas uniquement l’article 54 CIR 1992 que la Cour européenne de justice remet en cause mais également les articles 26, § 2, 2°, 198, §§ 1, 11°, et 4 et 344, § 2, CIR 1992, tels qu’actuellement en vigueur, dans la mesure où ils contiennent tous une formulation similaire à celle contenue dans l’article incriminé.

Auteur : Nicolas Themelin

ours-idefisc
Idefisc — Actualités Fiscales
©2003-2020 Idefisc & Words and Wires W3validator