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Effet interruptif des anciens commandements : l’interprétation rétroactive est contraire à la Convention des Droits de l’Homme

Notre équipe a déjà eu l’occasion d’évoquer la controverse relative à l’effet interruptif des anciens commandements signifiés par l’administration fiscale et à la disposition interprétative édictée par le législateur en 2004 afin d’éviter la prescription d’un nombre important de dettes d’impôts contestées suite à une jurisprudence de la Cour de cassation favorable au contribuable.

Une nouvelle jurisprudence intéressante tend à dénier aux anciens commandements interruptifs tout effet d’interruption de la prescription sur la base de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui édicte le principe du droit à un procès équitable.

L’évolution est importante, notamment en ce que cette jurisprudence applique l’article 6 à des litiges fiscaux, alors que l’administration a toujours soutenu que cet article ne s’appliquait pas en matière fiscale.

Le tribunal de première instance de Liège a récemment confirmé qu’un litige portant sur le recouvrement de l’impôt relève d’une contestation civile, lorsque le moyen principal est tiré des règles relatives à la prescription. L’article 6 de la CEDH est donc applicable.

Ce principe posé, le juge souligne que l’exigence de procès équitable implique que soit respecté le principe de l’égalité des armes. Or, en modifiant en cours de litige les données légales du procès, l’article 49 de la loi de juillet 2004, entendu comme un texte rétroactif, prive le contribuable de la possibilité de faire valoir la jurisprudence favorable de la Cour de cassation en matière de prescription.

Le tribunal de Liège précise qu’il est ainsi empêché de contrôler la nature et les effets des commandements litigieux puisque l’acte illégal pour la Cour de cassation est relevé de cette illégalité par ratification législative. Le tribunal s’estime donc privé de statuer sur une question de droit dont il est saisi. Jugeant cela inacceptable, le tribunal de Liège estime que « l’article 49 s’immisce, de la sorte, dans une procédure judiciaire en cours, en dicte la solution et influence de manière définitive et rétroactive les termes du débat soumis au tribunal et l’issue de la procédure » (Civ. Liège, 7 juin 2007, RG n°00/2683/A).

Le tribunal donne donc raison au contribuable et déclare les cotisations litigieuses prescrites.

Ce jugement doit assurément être approuvé.

Dans un jugement du 2 mai 2007, le tribunal de première instance de Bruxelles a également fait application, à bon droit, de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (RG n°2003/7854/A).

Selon le tribunal, l’article 6 est applicable dans la mesure où, même si la question trouve son origine dans la législation fiscale, puisqu’il s’agit de dettes d’impôt, elle met en œuvre des droits de nature privée, en l’occurrence le recouvrement de ces dettes d’impôt et le remboursement éventuel des sommes qui auraient été perçues du chef de la cotisation.

Le tribunal examine ensuite s’il existe un juste équilibre entre d’une part les exigences de l’intérêt général invoqué par l’Etat belge pour justifier la modification législative rétroactive (des objectifs budgétaires permettant de « sauver » des taxations anciennes) et d’autre part celles de la protection des droits fondamentaux du contribuable.

Il estime qu’en l’occurrence, dans la mesure où l’administration a tardé à statuer au stade administratif et a manifestement dépassé le délai raisonnable, elle ne peut invoquer l’intérêt général pour sauvegarder ses droits.

Dans ce contexte, l’administration ne peut se prévaloir de l’effet rétroactif de l’article 49. Le tribunal déclare dès lors prescrit le recouvrement des cotisations.

Cette nouvelle tendance jurisprudentielle soulagera les lecteurs qui auraient pu être choqués de la mesure rétroactive édictée « en catastrophe » par le législateur en juillet 2004 pour sauver des créances d ‘impôts contestées qui pouvaient bénéficier de la jurisprudence favorable de la Cour de cassation.

Les lecteurs qui sont encore aujourd’hui en litige avec l’administration fiscale pour des anciens impôts vérifieront par ailleurs s’ils ne peuvent pas bénéficier eux aussi de cette jurisprudence permettant d’invoquer la prescription.

Auteur : Pascale Hautfenne

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