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Invoquer le délai raisonnable contre des redressements de TVA ?

La Cour de justice de Luxembourg a rendu en début d’année un arrêt ouvrant la réflexion à propos du respect du délai raisonnable en matière de redressements de TVA.

Le contexte était celui-ci.

Après un premier contrôle fiscal qui s’était terminé sans redressement particulier, une société roumaine s’est vue contrôler à nouveau, à la demande expresse du Parquet qui instruisait un dossier pénal de fraude fiscale à l’égard notamment de plusieurs de ses fournisseurs et de son gérant.

Dans ce cadre, l’administration fiscale a donc régularisé la situation de la société, en lui refusant la déduction de la TVA grevant ses achats auprès des fournisseurs faisant l’objet des investigations pénales.

Le redressement était basé sur la motivation que l’administration soupçonnait raisonnablement qu’une situation artificielle avait été créée pour que la société augmente fictivement ses dépenses et déduise la TVA correspondante, sans qu’il existe d’opérations économiques réelles.

La société a introduit une réclamation mais l’administration estimait qu’il fallait surseoir à son examen dans l’attente de la décision au pénal. La réclamation ne suspendait d’ailleurs pas l’exécution du redressement.

La société s’est pourvue devant la cour d’appel, de manière à obtenir une décision sur le fond de sa réclamation et qu’il soit en tout cas sursis à l’exécution de l’imposition.

Son recours a été rejeté, aux motifs que la surséance à la décision sur la réclamation s’imposait pour éviter le risque de décisions contradictoires, et qu’il n’existait pas d’apparence d’illégalité ou d’imminence d’un dommage justifiant la surséance à l’exécution de l’avis de redressement.

Devant la Cour de cassation, la société faisait valoir que seuls des indices de ce que ses achats avaient pu être fictifs avaient été trouvés, et que la question de leur caractère fictif ou non ne serait tranchée que lors du règlement définitif de l’affaire pénale.

La Cour de cassation s’interrogeait sur l’application du principe de neutralité fiscale (auquel est attaché le droit à déduction de la TVA) lorsque « dans un premier temps, l’autorité fiscale émet un avis d’imposition qui produit des effets immédiats en refusant le droit déduction de la TVA alors qu’elle dispose pas, à ce moment-là, de l’ensemble des éléments objectifs relatifs à l’implication de l’assujetti dans une fraude à la TVA et que, dans un second temps, il est sursis à statuer sur la réclamation introduite contre cet avis jusqu’à ce que des éclaircissements concernant les faits soient apportés dans le cadre d’une instruction pénale qui vise à déterminer l’implication de l’assujetti dans ladite fraude ». Elle posait également la question à la Cour de justice sous l’angle du droit au procès équitable garanti par l’article 47 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

La Cour de justice a commencé par reprendre ses enseignements traditionnels, à savoir que le droit à déduction est fondamental en TVA mais qu’il appartient aux autorités et juridictions nationales de le refuser lorsqu’il est établi au vu des éléments objectifs, qu’il est invoqué frauduleusement ou abusivement.

Elle a aussi rappelé que pour elle, il est question de fraude conduisant au refus de la déduction non seulement en cas de fraude commise par l’assujetti lui-même mais également lorsqu’il savait ou aurait dû savoir qu’il participait par son acquisition à une opération impliquée dans une telle fraude.

En l’espèce, la question n’était pas tellement celle de savoir si l’administration roumaine était en droit de refuser le droit à déduction à un assujetti participant à une fraude. Il s’agissait surtout de savoir si elle pouvait maintenir le redressement fiscal non pas sur la base de preuves de fraude, mais sur la base d’indices, encore à confirmer par l’enquête pénale.

Le droit de l’Union est encore très indigent en matière de procédure et il ne prévoit pas de modalités de la preuve en matière de fraude à la TVA. La Cour a donc rappelé que c’est conformément aux règles prévues par le droit national que ces preuves doivent être rapportées, tout en soulignant bien que « le bénéfice du droit à déduction ne saurait (…) être refusé sur le fondement de suppositions ».

Toutefois, cela ne lui ôte pas tout contrôle. Aussi a-t-elle également rappelé qu’il faut vérifier que ces règles nationales ne portent pas atteinte à l’efficacité du droit de l’Union d’une part et qu’elles respectent les droits garantis par ce droit, spécialement par la Charte européenne d’autre part.

Elle avait déjà admis que l’administration fiscale s’appuie sur des preuves obtenues dans le cadre de procédures pénales non clôturées, visant l’assujetti ou des tiers, ou recueillies au cours de procédures administratives connexes auxquelles l’assujetti n’était pas partie. Elle a ajouté à cela que le droit de l’Union ne s’oppose pas non plus à ce que les autorités fiscales sursoient à statuer sur une réclamation dans le cadre d’un rejet du droit à déduction, en vue d’obtenir des éléments objectifs supplémentaires pour établir l’implication de l’assujetti dans la fraude fiscale menant au refus de ce cette déduction.

Mais cette possibilité est loin d’être absolue.

Lorsque, comme en l’espèce où il s’agit du droit à la déduction de la TVA, le droit de l’Union est en jeu, la procédure doit se dérouler dans le respect du droit à une bonne administration.

En d’autres termes, le sursis à statuer sur la réclamation ne peut pas avoir « pour effet de retarder l’issue de cette procédure de réclamation administrative au-delà d’un délai raisonnable ».

Cet arrêt est précieux dans un Etat comme la Belgique où nombre de déclarations de culpabilité par les juridictions pénales ne s’accompagnent pas de condamnations car le délai raisonnable est dépassé. De telles décisions pénales peuvent-elle encore soutenir des redressements fiscaux basés sur le droit de l’Union, entretemps tenus en suspens ?

Françoise BALTUS

Thème : La TVA

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