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Jurisprudence Antigoon en matière fiscale : une avancée européenne

Il n’est plus rare, ces dernières années, que l’administration fiscale entende fonder, et ensuite soutenir, une imposition sur des éléments de preuve « irrégulièrement obtenus ».

Cette irrégularité n’est par ailleurs pas systématiquement imputable à l’administration fiscale elle-même, mais peut être le fait d’une autre autorité, belge ou étrangère, voire le fait d’un tiers privé.

Imaginons l’hypothèse suivante : un employé d’une entreprise étrangère a accès à des données confidentielles détenues par cette entreprise, qui concernent des tiers (pour les besoins de l’hypothèse, des contribuables belges). Cet employé dérobe ces données à l’entreprise qui l’emploie, et les révèle ensuite, gratuitement ou contre rémunération, à des autorités étrangères. Ces autorités étrangères communiquent ensuite, après exploitation (et donc manipulation) aux autorités belges lesdites données, le plus souvent par application d’une convention interétatique organisant l’échange d’informations. Les autorités belges utilisent, enfin, ces données reçues par elles, afin d’imposer des contribuables belges….

Dans la séquence des transferts, l’on identifie une certitude : à l’origine, l’employé obtient les données au moyen de la commission d’une infraction (au moins) ; l’on relève ensuite de nombreuses incertitudes : quelle est la nature exacte des données concernées ? quelle en est la réelle provenance ? quel est leur degré de fiabilité ? que sont-elles susceptibles de prouver ? quelle est l’implication des autorités étrangères, voire belges, dans l’opération de subtilisation par l’employé ? quelle est l’étendue et quels sont les effets de la manipulation effectuée par les autorités étrangères ? etc

Autant d’incertitudes qui, comparées avec l’obligation qui pèse sur l’administration fiscale d’apporter la preuve de sa créance sur le contribuable (donc de prouver les affirmations qu’elle soutient et invoque), ont conduit ces contribuables à contester l’admissibilité de tels éléments de preuve, obtenus illégalement ou irrégulièrement.

Face à ce grief, la Cour de cassation a tranché, par un arrêt récent du 22 mai 2015 validant, dans l’espèce concernée, l’utilisation de preuves obtenues de manière irrégulière par l’administration fiscale dans une procédure purement fiscale.

Une certaine doctrine dit de cet arrêt qu’il transpose, en matière fiscale, la jurisprudence dite Antigoon que le législateur belge a consacrée, mais dans le cadre de la procédure pénale uniquement, par une loi du 24 octobre 2013.

La Cour de cassation, après avoir constaté que la législation fiscale ne contient aucune disposition générale qui interdit l’usage de preuves obtenues irrégulièrement pour l’établissement d’une dette d’impôt, et s’il y a lieu, pour l’imposition d’un accroissement d’impôts ou d’une amende, estime que l’utilisation de telles preuves est « licite » dès lors qu’une telle utilisation ne contrevient ni au principe de bonne administration, ni au droit à un procès équitable, et qu’il n’existe pas de régime de sanctions spécifiques prévues par la loi.

Il n’y aurait dès lors pas, selon la Cour, une sanction « automatique » qui frapperait de nullité des poursuites en présence d’une preuve irrégulièrement recueillie.

La Cour n’a cependant pas supprimé, contrairement à ce qu’il en a été dit, le principe en vertu duquel les preuves ne peuvent être recueillies au bénéfice de moyens qui seraient illégaux ou déloyaux. Elle a « simplement » augmenté le pouvoir d’appréciation du juge face à ces preuves, et la détermination de leur caractère probant.

A suivre la Cour de cassation, une preuve ne pourrait ainsi être écartée d’office que lorsque :

  • soit la preuve a été recueillie en violation d’une forme prescrite à peine de nullité ;
  • soit l’obtention de cette preuve est entachée d’un vice de nature à lui ôter sa fiabilité (« tellement contraire à ce qui est attendu d’une autorité agissant selon le principe de bonne administration ») ;
  • soit le vice constaté est de nature à compromettre le droit à un procès équitable.

Reprenant à son compte sa jurisprudence développée quelques années auparavant en matière pénale, la Cour a énoncé les sous-critères auxquels le juge fiscal peut avoir égard afin d’exercer son pouvoir d’appréciation.

En synthèse, le juge pourra avoir égard au caractère purement formel, ou non, de l’irrégularité invoquée, à l’incidence de l’irrégularité sur le droit ou la liberté protégés par la règle qui aura été violée, au caractère intentionnel, ou non, de l’irrégularité qui aura été commise par l’autorité, ainsi qu’à la circonstance que l’irrégularité est plus grave que l’infraction qu’elle prouve (imputable au contribuable).

Un récent arrêt WebMind-Licences Kft du 17 décembre 2015 de la Cour européenne de justice de l’Union européenne a également eu à se prononcer sur cette question délicate de l’admissibilité en droit fiscal de preuves illégalement obtenues. La cour fut saisie d’une question préjudicielle d’un tribunal administratif hongrois, qui souhaitait savoir si la juridiction saisie d’un recours contre la décision de l’administration fiscale ayant procédé à un redressement fiscal, pouvait contrôler la légalité de l’obtention des preuves dans le cadre de la procédure pénale lorsque l’assujetti n’a pas pu en avoir connaissance dans cette procédure et n’a pas eu la faculté d’en contester la légalité devant une autre juridiction.

Les preuves qui posaient question en l’espèce consistaient en des interceptions téléphoniques et des courriers électroniques, qui avaient été réalisés sans autorisation judiciaire préalable.

La Cour a répondu à cette question en confirmant que rien n’empêchait l’administration fiscale, dans sa lutte contre la fraude à la TVA, d’utiliser, afin de fonder un redressement fiscal, des informations issues d’une enquête pénale en cours, dont l’assujetti n’aurait par hypothèse pas connaissance. La Cour ajoute toutefois que cette utilisation n’est admise que pour autant que ces informations respectent toutes les garanties prescrites par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne correspondant aux droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi, la Cour estime que la juridiction nationale qui contrôle la légalité du redressement de TVA fondée sur de telles preuves doit vérifier, d’une part, si les moyens mis en place étaient des moyens d’investigation prévus par la loi et nécessaires dans le cadre de la procédure pénale et, d’autre part, si l’utilisation par l’administration fiscale des preuves obtenues par ces moyens était également autorisée par la loi et nécessaire.

Cette juridiction pourra en outre vérifier si, conformément au principe général du respect des droits de la défense, l’assujetti a eu la possibilité, dans le cadre de la procédure administrative, d’avoir accès à ces preuves et d’être entendu sur celles-ci. A défaut, il faut considérer qu’il y a violation des règles assurant la protection de la vie privée), ce qui implique que la juridiction doit écarter ces preuves et annuler la décision administrative qui ne serait fondée que sur celles-ci.

Il doit en être de même si le droit interne ne permet pas à la juridiction nationale de procéder à un ttel contrôle, ou ne peut s’en assurer en se fondant sur un contrôle qui aurait déjà été exercé par une juridiction pénale dans le cadre d’une procédure contradictoire.

Peut-on considérer que par cet arrêt, la Cour de justice « recadre » la Cour de cassation ?

On peut le penser, puisque la Cour de justice considère que la preuve alléguée devra être écartée dans le cadre d’une procédure nationale lorsqu’elle aura été obtenue par l’administration fiscale d’une manière qui n’est pas prévue par la loi, et que son utilisation porte atteinte aux droits de la défense du contribuable, ou un autre droit garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. A aucun moment la Cour de Justice ne fait sien le critère de la « balance des intérêts » appliqué par la Cour de cassation… à tout le moins, ce fait est certain lorsque l’on touche à un droit fondamental garanti par le droit de l’Union européenne.

Cette « ré-interprétation » de la jurisprudence Antigoon en matière fiscale est-elle susceptible de s’appliquer dans les litiges opposant l’administration fiscale à un contribuable, dans tous les domaines du droit fiscal ? La réponse à cette question devrait être positive.

Auteur : Melanie Daube

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