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Acquisition de voitures de leasing et avantage en nature

Diverses décisions de première instance récentes ont admis que constitue un avantage en nature imposable dans le chef de l'administrateur ou de l'employé d'une société, le fait d'acquérir en levant l'option d'achat un véhicule pris en leasing par cette société.

Il en irait de même lorsque l'acquéreur du véhicule serait, non pas l'administrateur ou l'employé lui-même, mais un membre de sa famille.

Les articles 31, 2° et 32, 2° du CIR 1992 servent de base légale à ces différentes décisions; ils prévoient que sont inclus dans la base imposable, "les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle". Cette formulation, certes large, ne permet pas, à notre avis, une interprétation aussi étendue que celle admise par les tribunaux.

La charge de la preuve de l'existence d'un avantage en nature appartient à l'administration fiscale.

La thèse de l'administration est la suivante : puisque le droit de lever l'option à un certain prix n'appartient qu'à la société lessee, le tiers (administrateur, employé, conjoint) n'a pu acquérir ce véhicule au même prix que le lessee, qu'en raison du lien professionnel existant entre lui (ou son conjoint) et cette société. L'administration tente de prouver que la société lessee aurait cédé son droit d'option au tiers acquéreur du véhicule, sans aucune contrepartie, et que cette cession constituerait l'avantage en nature imposable dans le chef de l'administrateur/employé.

La valeur de ce droit d'option, et donc de l'avantage en nature imposable dans le chef de la personne qui entretient des liens professionnels avec la société de leasing, équivaudrait à la différence entre le prix de vente réel du véhicule et sa valeur " Moniteur ".

Si la position de l'administration peut être admise dans certains cas - lorsque la société lessee et son employé/administrateur concluent réellement un contrat portant sur la cession de l'option à titre gratuit - la position des tribunaux nous semble, pour le reste, non fondée en droit.

Il faut d'abord préciser que rien ne permet à l'administration d'affirmer que seule la société lessee aurait le droit d'acquérir le véhicule pris en leasing pour un tel prix: le lessor est bien entendu libre de vendre son bien à tout tiers, même pour un prix modique, dès lors que le lessee a renoncé à son droit d'option.

L'existence même d'un avantage est par ailleurs contestable. Pour qu'il y ait un avantage, il faut d'une part un enrichissement dans le chef du bénéficiaire et d'autre part, une absence de rémunération effective correspondant à cet enrichissement, dans le chef de celui qui octroie l'avantage.

Trois hypothèses peuvent se présenter. Dans la première, la société de leasing et son employé/administrateur décident d'un commun accord de la cession à titre gratuit de l'option. Dans ce cas, il y a bel et bien avantage, puisque l'employé/administrateur devient gratuitement titulaire d'un droit qui figurait auparavant dans le patrimoine de la société pour laquelle il travaille.

Vient alors la question de l'évaluation du montant de l'avantage, que les tribunaux estiment, dans la foulée de l'administration, équivalent à la différence entre le prix réel et le prix " normal " du véhicule. Pourtant, il ne s'agit que de l'acquisition d'une " option " d'achat, et non pas du véhicule lui-même.

Il est cependant constant que le prix de l'option d'achat ne pourrait avoir, économiquement, une valeur presque équivalente au prix d'achat du bien lui-même.

Dans une deuxième hypothèse, ce n'est pas l'administrateur ou l'employé qui acquiert le véhicule, mais bien une personne n'ayant aucun lien professionnel avec la société lessee (le conjoint, par exemple).

Dans ce cas, l'existence d'un avantage dans le chef de l'administrateur/employé ne pourrait être établie : le fait que la société lessee cède son droit d'option à un tiers ne pourrait constituer un avantage octroyé à l'administrateur/employé, dans la mesure où celui-ci ne retire aucun bénéfice patrimonial de l'opération, mais seulement une certaine satisfaction morale - laquelle ne pourrait en aucun cas être prise en compte dans le cadre de l'article 31 ou de l'article 33. Ces articles visent en effet uniquement les revenus, c'est-à-dire, bien évidemment, les gains patrimoniaux des administrateurs ou employés.

La thèse de l'administration ne pourrait être admise que dans l'hypothèse où le tiers acquéreur serait le conjoint, marié en régime de communauté légale, de l'administrateur/employé, car le véhicule ainsi acquis à prix avantageux tomberait alors dans le patrimoine commun des conjoints, et leur appartiendrait par conséquent à chacun pour moitié. Il en résulterait une imposabilité de la moitié de l'avantage en nature constitué par la cession à titre gratuit de l'option.

Une troisième hypothèse peut se présenter : le tiers acquéreur du véhicule (administrateur, employé ou autre) s'adresse directement au lessor.

Il ne peut alors aucunement être question de l'octroi d'un avantage, puisque la société lessor vend le véhicule, de son propre gré, à un tiers acquéreur intéressé, pour un certain prix, bien réel et non fictif, et sans aucune intervention, ni de la société lessee, ni de l'administrateur/employé, du moins en cette qualité. L'administration, sauf à démontrer la simulation, ne pourrait considérer que la différence de prix constituerait dans le chef de l'administrateur ou de l'employé, une rémunération imposable, et ce par défaut de lien entre l'activité professionnelle de celui-ci, et l'acquisition, par lui-même ou par autrui, d'un véhicule à prix intéressant, auprès d'une société tierce.

De plus, si un lien professionnel était, encore faudrait-il que l'administration démontre l'existence de l'avantage. Dans la mesure ou l'acquéreur ne devient propriétaire du véhicule que moyennant le paiement d'un certain prix, bien réel - et correspondant d'ailleurs économiquement, pour le lessor, à la valeur résiduelle du véhicule - la contrepartie existe indiscutablement.

Le Tribunal de première instance de Nivelles a, en revanche, correctement appliqué ces principes dans sa décision du 4 mars dernier. La jurisprudence est donc loin d'être unanime sur cette délicate question.

Séverine SEGIER


Auteur : Severine Segier

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