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Don d’assurance-vie – jurisprudence récente de la cour d’appel de Gand, favorable au contribuable wallon ou bruxellois...

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder, dans une précédente contribution, le sort réservé aux donations d’assurance-vie, lors du décès du preneur.

Lorsqu’un parent a souscrit, durant sa vie, une assurance-épargne ou une assurance-placement de la « branche 21 » ou de la « branche 23 », il peut, dans l’optique de planifier sa succession future, racheter la police et donner la somme d'argent obtenue à ses enfants. Face aux frais de rachat souvent élevés, le parent concerné préférera parfois procéder, ensuite de la souscription de tel contrat, à la donation de l'assurance-vie elle-même, à l’effet d’une cession, à ses enfants – donataires, de tous les droits du preneur d'assurance. Il faut rappeler, à cet égard, que si le bénéfice du contrat a préalablement été accepté, l’exercice du droit de cession est alors subordonné au consentement du bénéficiaire.

L'exemple type de cette pratique courante est celui d'une configuration « AAB » dans laquelle le parent « A » intervient comme preneur d'assurance et tête assurée, tandis que l'enfant « B » est le bénéficiaire en cas de décès. Si le parent « A » cède tous ses droits à l'enfant « B », celui-ci devient, de facto, le nouveau preneur d'assurance et la configuration « AAB » se transforme en une configuration « BAB ».

Sur le plan formel, la cession de tout ou partie des droits résultant du contrat d’assurance ne peut s’opérer que par avenant signé par le parent-cédant, l’enfant-cessionnaire et l’assureur. Ce transfert peut être considéré comme réalisant une donation indirecte, dans la mesure où l’on peut établir l’intention libérale dans le chef du preneur d’assurance. Le parent qui décidera de procéder de la sorte gardera utilement à l’esprit qu’il fait courir au cessionnaire le risque d’application de l’article 7 du Code des droits de succession, ou de l’article 2.7.1.0.5 du Code flamand de la fiscalité en Région flamande, qui implique la débition des droits de succession sur le montant donné, en présence du décès du donateur dans les 3 ans de ladite donation (délai dit de « période suspecte »).

La plupart des compagnies d’assurance exigent cependant désormais qu’il soit procédé par la voie d’une donation directe, par acte notarié. S’il reste aujourd’hui possible de procéder par la voie d’un acte passé devant un notaire étranger, nous rappellerons que tel procédé, légal, ne permet plus d’éviter le paiement en Belgique des droits de donation.

En présence d’une donation d’assurance, il convient de déterminer si, au moment du décès ultérieur du parent-donateur, qui sera resté tête assurée du contrat, des droits de succession seront dus par l’enfant-donataire (des droits de preneur), devenu bénéficiaire de la prestation d'assurance.

Le principe veut que les droits de succession sont perçus sur tout ce qui est recueilli dans la succession d’un habitant du Royaume. Les fonds versés par un preneur à une compagnie d’assurance, utilisés par celle-ci afin de satisfaire ultérieurement au respect de son obligation contractuelle de payer un capital à une personne tierce (le bénéficiaire), ne se trouvent plus, d’un point de vue juridique, dans le patrimoine du défunt, au jour de son décès. Dès lors, sur base du principe général précité, ces sommes ne devraient pas être soumises aux droits de succession, lors dudit décès.

L’article 8 du Code des droits de succession vise les contrats d’assurance-vie qui sont conclus par une personne qui y investit les fonds, sur sa propre tête, mais qui mentionnent l’un ou l’autre membre de sa famille (voire l’un ou l’autre tiers) au titre de bénéficiaire. Cette disposition instaure une fiction juridique. En vertu de cette fiction, il est considéré que lors de l’ouverture de la succession du souscripteur (qui a investi les fonds dans le contrat) qui est par ailleurs la « tête assurée » du contrat, les sommes qui sont obtenues par le conjoint, les enfants, ou certains tiers, en vertu du contrat d’assurance-vie (par le biais du mécanisme de la « stipulation pour autrui »), en leur qualité de bénéficiaires, sont soumises aux droits de succession. Les droits sont alors perçus sur la valeur du contrat au jour de l’ouverture de la succession. Cette fiction est reprise, pour la Région flamande, sous l’article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité.

La question à résoudre est donc celle de savoir si, à l’issue de la donation d’assurance, la situation des parties révèle toujours une « stipulation pour autrui », auquel cas des droits de succession seront dus au décès du preneur initial sur base de l’article 8 du Code des droits de succession (ou de l’article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité), ou si, au contraire, tel n’est plus le cas, permettant ainsi à l’enfant - donataire de soutenir l’exonération lors du décès.

Il faut selon nous répondre à cette question par la négative. En effet, suite à la cession des droits du preneur d'assurance au bénéficiaire, la stipulation initiale, « pour autrui », s'est transformée en une « stipulation pour soi-même » (configuration « BAB »).

Pour qu’il y ait « stipulation pour autrui », il faut, ainsi que le précise l’article 1121 de l’ancien Code civil, que l'un des contractants stipule que l'autre réalisera une donation, ou posera un acte, en faveur d'une tierce partie.

Or, du fait de la donation, le donataire des droits du preneur d’assurance prend la place du preneur initial (donateur) dans ses relations avec l'assureur, dans le cadre du contrat d'assurance-vie. Aussi, l’enfant- donataire devient «preneur» du contrat d’assurance, en lieu et place du preneur initial, aux droits duquel il est subrogé. Le donataire cumule ainsi, à l’issue de la donation, la qualité de preneur et de bénéficiaire du contrat. Il n’y a dès lors plus « stipulation pour autrui », mais bien « stipulation pour soi-même », puisque le donataire ne peut plus être considéré comme un tiers au contrat.

Telle situation n’est pas celle visée par l’article 8 du Code des droits de succession, ni par l’article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité.

S’agissant de règles dites d’exception, les principes que ces dispositions contiennent sont d’interprétation restrictive.

Aussi, l’enfant-donataire ne peut se voir réclamer les droits de succession lors du décès du preneur initial, resté « tête assurée » du contrat.

Cette position est confirmée dans un courrier - non publié - du 9 avril 2013, de l'Administration fiscale fédérale, qui y précise que les droits de succession ne sont pas dus dans cette hypothèse. L’administration fiscale fédérale, longtemps seule compétente en la matière, a dès lors accepté que la donation des droits sous-jacents attachés à la police d’assurance permettait de faire échec à la soumission de la prestation d’assurance aux droits de succession, au jour du décès du preneur initial de la police. Ceci sauf hypothèse où cette donation serait intervenue dans un délai de 3 ans avant le décès dudit preneur sans être soumise à la formalité de l’enregistrement.

La Cour d’appel de Gand, dans un arrêt récent du 9 mars 2021, vient de confirmer cette position, rejetant ainsi toute possibilité pour l’administration fiscale, dans une telle hypothèse, de revendiquer l’application de la fiction contenue sous l’article 8 du Code des droits de succession (Gand, 9 mars 2021, 2019/AR/1208).

Compte tenu des modifications législatives récentes implémentées dans le Code flamand de la fiscalité, il convient de limiter immédiatement l’effet territorial de cette jurisprudence favorable à la thèse du contribuable.

La Région flamande a en effet légiféré par voie de décret, en date du 23 décembre 2016. Le décret flamand prévoit désormais que la donation des droits sous-jacents au contrat d’assurance-vie est impropre à faire échec à l’application des droits de succession lors du décès du preneur. Cette législation s’applique aux successions (de contribuables qui résident en Région flamande) ouvertes à partir du 1er mars 2016.

Cette législation confirme et implémente la position de Vlabel, le Service flamand de la fiscalité, qui estime que l'engagement de l'assureur à l'égard du bénéficiaire naît au moment de la souscription initiale du contrat, sans que la donation consentie n’apporte de modification au lien juridique qui existe, depuis l’origine, entre l'assureur et le bénéficiaire. Vlabel considère à cet égard que la donation d’assurance, même soumise à l’impôt flamand de donation, est impropre à éviter l’impôt flamand de succession. Cette position fut adoptée dès le 30 novembre 2015, et rappelée en date des 13 juin 2016 et 14 novembre 2016.

Selon la position originelle adoptée par Vlabel, l’enfant-donataire restait redevable de l'impôt successoral sur la totalité de la prestation d'assurance qui lui est attribuée au décès du parent-donateur, souscripteur initial et tête assurée du contrat, même si l’impôt de donation avait été acquitté sur le don d'assurance. Le décret précise toutefois à présent que si la donation d’assurance a été enregistrée, la base taxable à l’impôt de succession sera égale, non pas à l’entièreté de la prestation d’assurance perçue par le bénéficiaire, mais bien à cette même somme, dont on aura au préalable déduit le montant ayant servi de base imposable pour la perception de l’impôt de donation. Par contre, si la donation d’assurance n’a pas été soumise à l’impôt de donation, l’enfant-bénéficiaire restera redevable de l'impôt successoral sur la totalité de la prestation d'assurance attribuée.

Aussi, l’enseignement issu de l’arrêt prononcé par la Cour d’appel de Gand, et la confirmation qu’il contient de la disparition de toute « stipulation pour autrui » en présence d’une donation d’assurance n’aura d’utilité que pour le contribuable wallon, ou bruxellois.

Cet arrêt pourra, pour ces contribuables, être utilement complété d’une référence à 2 décisions du 6 juillet 2017 et du 5 juin 2018, rendues par le Service Fédéral des Décisions Anticipées (qui reste compétent pour la Wallonie et Bruxelles). Ces décisions ont également confirmé que la donation d’assurance transforme définitivement la stipulation pour autrui (imposable aux droits de succession, lors du décès du preneur initial, par ailleurs « tête assurée ») en une stipulation pour soi-même (exonérée, dans les mêmes circonstances).

Faut-il considérer qu’il n’existe plus aucune possibilité, pour le contribuable qui réside en Région flamande, de permettre à ses héritiers d’échapper à l’impôt flamand de succession en procédant à une donation d’assurance, enregistrée et soumise à l’impôt de donation ? La réponse à cette question n’est peut-être pas négative.

Avant même que le gouvernement flamand ne dépose son projet de décret, Vlabel s'était en effet vu soumettre plusieurs pistes destinées à éviter toute forme de double imposition. L’on trouve parmi celles-ci le rachat par l’enfant-donataire du contrat, avant le décès du parent-assuré, la désignation, par l’enfant-donataire, immédiatement après la donation, d’une autre personne au titre de bénéficiaire du contrat (de sorte que la configuration « BAB » se transforme, dans notre exemple, en une configuration « BAC »). L’on ne peut que conseiller à ce contribuable d’aborder avec prudence ces « solutions », et d’examiner chaque cas d’espèce au regard de ses circonstances propres, et des critères invoqués par Vlabel afin de retenir, en certaines hypothèses, un « abus fiscal ».

Quant au contribuable résidant en Région wallonne ou bruxelloise, il sera, lui aussi, bien avisé d’examiner le projet de planification successorale qu’il envisage de mettre en œuvre au regard des dispositions « anti-abus » en vigueur dans la Région dont il relève, et d’envisager si l’une ou l’autre précaution particulière peuvent être mises en œuvre afin de sécuriser l’opération. Si la donation n’est pas enregistrée, le contribuable wallon ou bruxellois restera également attentif au risque issu de l’application potentielle de l’article 7 du Code des droits de succession, qui induit la débition des droits de succession en cas de décès du donateur dans les 3 ans de la donation. L’on notera que le gouvernement wallon a approuvé mi-juillet 2021, en première lecture, un nouveau décret fiscal visant à lutter plus efficacement contre les abus fiscaux, qui prévoit de faire passer ce délai de 3 à 5 ans…

Thème : Les droits de succession

Auteur : Melanie Daube

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