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Achat scindé: modification du point de vue de l'administration fédérale

L’opération classique dite d’« achat scindé », en usufruit pour les parents, et nue-propriété pour les enfants, a beaucoup fait parler d’elle ces 5 dernières années.

Le siège de la question se trouve contenu dans l’article 9 du Code des droits de succession, et son pendant en Région flamande, sous l’article 2.7.1.0.7 du Code flamand de la fiscalité.

Ces articles contiennent une disposition spécifique « anti-abus », à l’effet de laquelle il est présumé que l’acquisition scindée, d’un bien meuble ou immeuble, en usufruit par un parent et en nue-propriété par son successible, déguise, fiscalement, une libéralité consentie par l’usufruitier au profit du nu- propriétaire, portant sur la totalité en pleine propriété du bien ainsi acquis. Cette « fiction » rend l’opération taxable, au titre de legs fictif, aux droits de succession, lors du décès de l’usufruitier. La disposition part ainsi de l’hypothèse que le nu-propriétaire n’aura pas payé le prix de la nue-propriété acquise par lui.

Cette fiction spécifique est issue d’une loi de 1919, et a depuis l’origine été stipulée réfragable, ce qui signifie qu’elle peut être renversée. A l’évidence, le nu-propriétaire ne peut faire échec à la mesure en alléguant simplement qu’il aurait payé le prix de la nue-propriété acquise par lui, mais il doit bien évidemment établir qu’il possédait, préalablement à l’acquisition, les fonds nécessaires lui permettant d’assurer le financement de sa part, mais également qu’il les a affectés au paiement du prix.

L'administration fiscale admettait, depuis toujours, que cette preuve contraire puisse être administrée par le nu- propriétaire au moyen d’une donation préalable à son profit des fonds nécessaires, par l’usufruitier. Que telle donation ait été consentie sous la forme authentique, ou autrement, importait peu, à la condition toutefois que la donation puisse bénéficier de la condition d’antériorité, soit qu’elle soit antérieure à l’acte d’acquisition.

C’est dès lors avec étonnement que l’on a pu lire, dans une circulaire fédérale du 19 juillet 2012, que l’opération d’achat scindé devait être considérée, a priori, comme induisant un « abus fiscal », parce qu’une telle opération serait présumée porter atteinte à l’article 9 du Code des de droits de succession. Cette affirmation fut supprimée lors de l’abrogation de la circulaire de 2012 par celle du 10 avril 2013. L’on s’est toutefois réjouit trop vite de ce retour à la raison de l’administration.

En effet, l’Administration fiscale fédérale a rapidement publié une décision administrative du 19 avril 2013, dans laquelle elle précisait que la preuve contraire admissible, que le contribuable pourrait invoquer afin de faire échec à la disposition spécifique « anti-abus », ne pourrait plus consister en une donation préalable, effectuée par l’acquéreur de l’usufruit au futur acquéreur de la nue- propriété, des fonds nécessaires pour financer sa part dans l’acquisition. Ceci peu importe donc que cette donation ait été enregistrée ou non. Cette décision administrative était stipulée applicable aux actes posés à compter du 1er septembre 2013.

La position administrative de 2013 s’inscrit en contrariété avec le texte légal en cause. L’article 9 du Code des droits de succession vise en réalité à lutter non contre l’existence d’une libéralité préalable (par hypothèse transparente), mais bien contre le déguisement d’une donation sous la forme d’une opération d’acquisition scindée. La décision du 19 avril 2013 procède par voie de confusion : l’existence d’une donation préalable n’emporte en rien déguisement, puisque par définition, celle-ci est ostensible, et même invoquée par le nu-propriétaire, afin de faire échec à la présomption contenue dans la disposition spécifique de l’article 9 du Code des droits de succession. L’on peut par ailleurs relever que contester tout effet libératoire à l’existence d’une donation préalable peut conduire à une double taxation effective dans le chef du nu-propriétaire, qui aurait, par hypothèse, assumé les droits d’enregistrement, sur la donation qu’il invoque, mais devrait encore assumer les droits de succession, ensuite du décès de l’usufruitier-donateur.

C’est sans doute cette situation qui a conduit l’administration fiscale à revoir sa position, par le biais d’une nouvelle décision datée du 18 juillet 2013, à l’issue de laquelle il semblait acquis qu’une donation préalable des fonds nécessaires à l’achat de la nue-propriété, consentie par l’acquéreur en usufruit, à l’acquéreur en nue-propriété, est impropre à renverser la présomption contenue sous l’article 9 du Code des droits de succession, sauf si cette donation a été enregistrée, ou s’il est démontré que le donataire a pu disposer librement des fonds donnés (càd que la donation n’a pas été réalisée spécifiquement afin de permettre l’achat de la nue-propriété). Il faut constater à cet égard que l’Administration fédérale n’a fourni, quant à cette seconde contre-preuve, aucun critère qui permettrait d’apprécier à partir de quand il est permis de soutenir que le donataire a pu disposer librement des fonds donnés (tels la différence entre le montant de la donation et le prix de la nue-propriété, ou encore l’écoulement d’un certain laps de temps entre la donation et l’achat, etc).

Dès lors, en Régions wallonne et bruxelloise, pour lesquelles les décisions de l’Administration fiscale fédérales conservent leur valeur juridique, l’on considérait, depuis le 1er septembre 2013 et jusqu’à présent, qu’une donation préalable à l’acquisition scindée peut être admise au titre de preuve contraire permettant d’éviter la soumission d’une opération d’achat scindé aux droits de succession, mais uniquement dans 2 hypothèses : soit si la donation a été soumise au droit d’enregistrement, soit si le bénéficiaire de cette même donation est en mesure de prouver qu’il a pu disposer librement des fonds donnés.

Vlabel, compétent pour le territoire de la Région flamande depuis le 1er janvier 2015, a ensuite « transposé », de manière restrictive, la position fédérale précitée dans son arsenal règlementaire à l’effet de plusieurs décisions, dont la première date de juillet 2015. Ce faisant, Vlabel en a par ailleurs étendu la portée. En effet, depuis le 21 mars 2016, la position Vlabel s’applique également aux immatriculations scindées de titres et de placements d’argent. Ceci pour inscriptions effectuées en usufruit et nue- propriété à partir du 1er juin 2016.

Depuis 2015, l’on considérait ainsi qu’en Région flamande, une donation préalable de fonds, consentie par l’acquéreur en usufruit à l’acquéreur en nue-propriété, n’était susceptible d’apporter la preuve contraire permettant d’écarter la fiction contenue sous l’article 2.7.1.0.7 du Code flamand de la fiscalité, que si la donation est enregistrée, et que cet enregistrement est réalisé avant l’immatriculation. La possibilité de démontrer que le nu-propriétaire avait pu disposer librement des fonds donnés y était également admise, mais sans grande sécurité juridique à nouveau, du fait que l’administration fiscale flamande n’a également fourni à cet égard aucun critère d’appréciation…

Le 12 juin 2018, le Conseil d’Etat a annulé la position de Vlabel. Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé l’objectif historique de l’article 9 du Code des droits de succession tel que nous le synthétisions ci-dessus, précise que pour qu’il y ait libéralité déguisée, il faut que l’appauvrissement de l’acquéreur en usufruit et l’enrichissement de l’acquéreur en nue-propriété se produisent de manière simultanée à l’acquisition, ou l’immatriculation. Selon le Conseil d’Etat, ni la législation, ni les travaux préparatoires de la loi, n’exigent l’enregistrement de la donation préalable, afin que celle-ci puisse valoir au titre de contre-preuve de la fiction de legs contenue dans ce même article 9. Dès lors, la manière dont l’acquéreur en nue- propriété a reçu les fonds destinés à l’achat de la nue-propriété est sans importance. La seule condition requise par le texte est que les fonds aient été mis à disposition de l’acquéreur en nue- propriété avant l’acquisition, ou l’immatriculation, scindée.

Suite à cette décision, Vlabel a précisé, dans une décision du 15 juin 2018, que ses services n’appliqueraient plus la position annulée dans les futurs dossiers qu’ils auraient à traiter, et que les contribuables qui ont été imposés en application de telle position pouvaient introduire une réclamation dans le délai légal de 3 mois après la date d'envoi de l'avis d’imposition.

Depuis l'arrêt du Conseil d’Etat du 12 juin 2018, en Région flamande, une donation préalable de fonds consentie par l’acquéreur en usufruit à l’acquéreur en nue-propriété, permet de faire échec à la fiction contenue sous l'article 2.7.1.0.7 du Code flamand de la fiscalité, que la que la donation ait ou non été enregistrée (et en conséquence soumise à l’impôt de donation).

Cette décision ne concernait jusqu’à présent que la position de Vlabel, et ne permettait pas de faire obstacle à l’application de la position de l'administration fiscale fédérale (qui restait ainsi applicable à la succession des personnes résidant en Région wallonne et en Région bruxelloise).

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la Décision fédérale du 23 septembre 2019, par laquelle l’administration fédérale modifie son point de vue quant aux conditions que doit respecter une donation préalable, afin de faire échec à la fiction contenue sous l’article 9 du Code des droits de succession. L’Administration fédérale confirme elle également qu’il n’est plus requis que la donation intervienne par voie d’acte authentique, ni qu’elle soit soumise aux droits d’enregistrement.

Étonnement, l’on peut y lire, dans la version française du texte, que cette preuve contraire ne sera toutefois établie que pour autant que cette donation ait date certaine avant l’acquisition de la nue-propriété. L’article 1328 du Code civil contient les 3 hypothèses dans lesquelles un acte sous seing privé peut se voir reconnaître telle date certaine. Ainsi, les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire. On est bien loin de l’époque où l’Administration fédérale admettait au titre de contre-preuve une donation indirecte qui la plupart du temps ne requérait aucun écrit (une donation par virement, par exemple)….

La position fédérale est évidemment critiquable. Elle l’est tout autant que la position de Vlabel que le Conseil d’Etat vient d’annuler. En effet, la condition de date certaine préalable n’est pas reprise dans le texte de l’article 9 du Code des droits de succession. A ce titre, la position nouvelle nous paraît illégale.

Là n'est pas le seul point sur lequel la position fédérale nouvelle surprend. En effet, l’administration a jugé utile d’identifier, dans sa décision, le moment auquel l’acquéreur en nue-propriété doit pouvoir prouver qu’il dispose des fonds utiles, et de fixer ce moment à la date du compromis dans certaines hypothèses (alors que la méthodologie de mobilisation des fonds est parfois encore incertaine, à la date du compromis…). Enfin, l’administration fédérale ne précise pas à quels actes elle entend se rendre applicables (actes d’acquisition conclus après la date du 12 juin 2018 ou décès à compter de cette date ? opérations d’acquisition scindée ou d’immatriculation scindée ? etc).

En l’état de la position de l’Administration fiscale fédérale, en Régions wallonne et bruxelloise, une donation préalable de fonds, consentie par l’acquéreur en usufruit à l’acquéreur en nue-propriété, permet de faire échec à la fiction contenue sous l’article 9 du Code des droits de succession, que la donation ait ou non été enregistrée (et en conséquence soumise à l’impôt de donation), mais sous la condition que cette donation ait date certaine, avant l’acquisition (et parfois même avant le compromis).

Il faut à présent espérer un retour à une stricte application du texte légal par l’Administration fédérale, et une rectification rapide de la position du 23 septembre 2019. Dans l’attente, il est difficile d’anticiper quelle sera l’attitude adoptée pour le futur par l’administration fédérale, au moment où surviendra le décès d’un usufruitier résidant en Régions wallonne ou bruxelloise. Avec pour effet de générer une certaine insécurité juridique pour les héritiers… surtout dans des situations où la donation effectuée l’a été à une date bien éloignée dans le passé. Ces contribuables seront bien avisés de procéder à la vérification des risques fiscaux qu’induit la situation dans laquelle ils se trouvent…

Thème : Les droits de succession

Auteur : Melanie Daube

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