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Application de la doctrine Salduz en matière fiscale

Le tribunal de première instance de Liège a récemment rendu un jugement qui applique pour la première fois la doctrine Salduz en matière fiscale.

Cette doctrine précise que le droit fondamental à un procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, « CEDH ») comporte deux principes fondamentaux :

  • le droit conféré à tout suspect de bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire, et ;
  • l’exclusion des preuves provenant de déclarations prononcées en l’absence de l’assistance d’un avocat, et partant l’absence de condamnation pénale.

Ainsi, toute personne interrogée ou entendue par la police dans le cadre d’une poursuite pénale bénéficie d’une série de droits. En principe, l’article 6 de la CEDH ne s’applique pas aux procédures fiscales ordinaires. Cependant, les jurisprudences européennes et belges ont jugé qu’un accroissement d’impôts ainsi qu’une amende administrative en matière fiscale peuvent constituer une sanction pénale au sens de l’article 6 de la CEDH.

Dans le cas d’espèce soumis au tribunal, l’accusé, interrogé par les forces de police sans l’assistance d’un avocat, était soupçonné qu’une partie de ses revenus était issue de l’exploitation illégale de la prostitution. Pour se défendre, le contribuable a fourni une série de calculs permettant de justifier que tel n’était pas le cas. L’administration fiscale s’est alors basée sur ces déclarations incriminantes pour procéder à la taxation des revenus (non déclarés) à titre de revenus professionnels. Le contribuable s’est également vu infliger des accroissements d’impôts de 50 %.

Le tribunal applique partiellement la jurisprudence Salduz, en ce qu’elle admet uniquement la règle d’exclusion des preuves. Étant donné le caractère pénal des accroissements d’impôt, la recevabilité de ces déclarations incriminantes est rejetée dans la mesure où les conditions d’un procès équitable ne sont pas remplies. En outre, bien que l’imposition stricto sensu n’ait pas un caractère pénal, les preuves provenant des déclarations de l’accusé sont rejetées, car la juridiction liégeoise considère qu’elles sont non fiables. En effet, le contribuable avait tout intérêt à gonfler ses revenus de manière à prouver que les moyens dont il dispose ne sont pas issus de la prostitution. Il est intéressant de noter que le tribunal applique à juste titre la doctrine Salduz bien que l’interrogation ait eu lieu à une époque où cette doctrine n’existait pas encore.

La loi belge Salduz du 21 novembre 2016 prévoit que le droit d’être assisté d’un avocat est accordé à toute personne ayant été privée de liberté ou à des personnes interrogées accusées d’une infraction dont une peine privative de liberté peut être prononcée. Autrement dit, ce droit à l’assistance d’un avocat est applicable à condition qu’il existe un risque de privation de liberté. Bien que la question ne se posait pas en l’espèce puisque l’accusé a été interrogé dans le cadre d’une enquête judiciaire, le tribunal rappelle que le droit à l’assistance d’un avocat n’est pas applicable en matière fiscale puisque les pouvoirs de l’administration se limitent à des actes d’enquête. Aucune mesure de contrainte ou de privation de liberté à l’égard du contribuable ne peut être prise par les agents du fisc.

Force est de constater que la loi belge est contraire au droit européen, puisqu’elle rattache le droit à l’assistance d’un avocat à la privation de liberté. Or, selon la jurisprudence de la CEDH et la directive européenne Salduz, ce droit est prévu à toute personne mise en cause dans une procédure de nature pénale, sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit privée de liberté. Par conséquent, le droit à l’assistance d’un avocat devrait être applicable en matière fiscale dès lors que le contribuable risque de se voir imposer un accroissement d’impôt ou une amende administrative. En ce sens, la Belgique devrait se conformer aux principes de la CEDH en la matière, afin de garantir les droits à un procès équitable dont bénéficie tout contribuable belge.

Océane MAGOTTEAUX — Mahan SHOOSHTARI

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