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Cour constitutionnelle du 2 février 2023 – les conseillers fiscaux réglementés et non réglementés soumis aux mêmes exceptions en matière de prévention du blanchiment de capitaux

1. Depuis la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, les conseillers fiscaux non réglementés sont des entités assujetties à la législation préventive du blanchiment de capitaux, au même titre que les conseillers fiscaux certifiés.

Les conseillers fiscaux non réglementés sont des personnes physiques ou personnes morales non inscrites dans le registre public visé à l’article 29, § 1er, de la loi du 17 mars 2019 relative aux professions d’expert-comptable et de conseiller fiscal, qui s’engagent à fournir, directement ou par le truchement d’autres personnes auxquelles cette autre personne est liée une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale comme activité économique ou professionnelle principale.

Les conseillers fiscaux non-inscrits dans le registre public ne sont pas soumis aux mêmes réglementations que les conseillers fiscaux certifiés en matière de diplôme, d’accès à la profession, de déontologie, de contrôle ou de formation.

Ils sont uniquement soumis à une supervision du SPF Economie.

2. En date du 7 octobre 2022, l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables a introduit devant la Cour constitutionnelle une demande de suspension de l’article 5 de la loi du 23 juin 2022 portant dispositions diverses urgentes relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et portant dispositions relatives aux exceptions à l’obligation du secret des réviseurs d’entreprises et des experts-comptables certifiés.

L’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables invoquait dans son recours divers moyens dont notamment la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par cette disposition en ce que celle-ci ne prévoit pas un régime d’exonération particulier pour les conseillers fiscaux non réglementés.

La législation préventive en matière de blanchiment prévoit, en effet, pour certaines professions (secteur non financier) tels que les avocats, huissiers, notaires, ou les personnes inscrites dans le registre public des conseillers fiscaux et des experts-comptables une série d’exonérations ou d’exceptions sous certaines conditions.

C’est ainsi que l’article 53 de la loi du 18 septembre 2017 prévoit que les assujettis du secteur financier sont dispensés de l’obligation de déclaration d’opérations suspectes à la Cellule de Traitement des Informations Financières lorsqu’ils procèdent à l’évaluation de la situation juridique de leurs clients ou à une défense ou représentation en justice.

Dans son recours, l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables souligne que la disposition attaquée a pour effet que les conseillers fiscaux non réglementés bénéficient eux aussi de l’exonération précitée alors que cette exonération vise pourtant à garantir le respect de l’obligation de secret professionnel.

Le grief émis par l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables est que la catégorie professionnelle des conseillers fiscaux non réglementés et celle des professionnels inscrits dans le registre public ne saurait être comparée.

L’article 485 du Code pénal qui garantit le secret professionnel, sanctionné pénalement de certaines professions est rendu applicable aux professionnels qui sont inscrits dans le registre public. Toutefois, le législateur n’a pas prévu de rendre cette disposition pénale applicable aux conseillers fiscaux non réglementés. Ces derniers ne sont donc pas soumis à l’obligation du secret. Il ressortait de la lecture de l’article 458 du Code pénal et de la jurisprudence pertinente de la Cour de cassation que les conseillers fiscaux non réglementés sont simplement soumis à un devoir de discrétion sans être nullement tenus au secret professionnel. En conclusion, la catégorie des conseillers fiscaux non réglementés ne saurait être comparée aux catégories auxquelles s’applique le secret professionnel.

Selon l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables, le législateur ne précise nullement l’objectif poursuivi par la disposition attaquée, de sorte qu’il n’est pas question d’un objectif légitime.

En l’absence d’un objectif légitime, il ne peut donc pas être admis non plus que la mesure attaquée est pertinente.

Selon l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables, la mesure attaquée produirait également des effets manifestement déraisonnables pour les conseillers fiscaux certifiés. Plus précisément, les conseillers fiscaux non réglementés bénéficient d’un avantage concurrentiel irrégulier au détriment des professionnels qui sont inscrits dans le registre public.

Ils sont exonérés de l’obligation de déclaration sans être tenus par le secret professionnel qui justifie une telle exonération et sans être tenus de respecter les obligations liées à l’exercice des professions réglementées au sens de la loi du 17 mars 2019.

Ils peuvent par ailleurs également nouer des relations d’affaires sans devoir satisfaire aux obligations prévues par la loi du 18 septembre 2017 et sans être soumis à la supervision d’une autorité indépendante telle que l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables.

3. La requête introduite par l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables a donné lieu à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 février 2023.

Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle commence par rappeler que la disposition attaquée étend le champ d’application de la loi du 18 septembre 2017 en incluant les conseillers fiscaux non réglementés comme entité assujettie et habilite le Roi à déterminer pour cette entité les règles et conditions relatives à l’inscription auprès du SPF Economie.

Après avoir vérifié que l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables dispose bien de l’intérêt requis auquel est subordonnée une demande de suspension ou d’annulation, la Cour constitutionnelle examine les conditions qui doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée.

La Cour rappelle que la partie requérante doit pouvoir justifier notamment du fait que l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable en cas d’annulation de ladite norme.

A cet égard, la Cour relève que l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables fait valoir que la disposition attaquée donne l’impression que les conseillers fiscaux non réglementés appartiennent à un groupe professionnel reconnu, ce qui leur procurerait un avantage concurrentiel, dès lors qu’une série d’obligations imposées par la loi du 17 mars 2019 ne leur incombe pas.

De la sorte, la disposition attaquée porterait également atteinte à la réputation des personnes inscrites dans le registre public.

D’après la Cour constitutionnelle, ce motif ne peut justifier l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable. En effet, l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables est un organisme professionnel de droit public qui a notamment pour mission de protéger les droits et intérêts professionnels communs des personnes inscrites dans le registre des professionnels concernés.

Lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité et le caractère difficilement réparable d’un préjudice, un organisme professionnel qui défend l’intérêt collectif d’un groupe professionnel, ne peut être confondu avec les membres de ce groupe professionnel affectés dans leur situation personnelle et auxquels cet intérêt se rapporte.

Pour la Cour, le préjudice allégué par l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables est un préjudice purement moral qui découle de l’adoption d’une disposition législative susceptible d’affecter les intérêts individuels de ses membres. Ce préjudice moral n’est pas difficilement réparable puisqu’il disparaîtrait dans le cas d’annulation de la disposition attaquée.

Il découle de ce qui précède, d’après la Cour, que l’Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-Comptables ne démontre pas que l’application immédiate de la disposition attaquée risque de lui causer un préjudice grave et difficilement réparable.

La Cour en conclut que la demande de suspension ne peut être accueillie.

4. En conclusion de cet arrêt, les conseillers fiscaux non certifiés et donc non inscrits au registre public visé par la loi du 17 mars 2019 peuvent continuer à bénéficier des exceptions prévues par la loi préventive en matière de blanchiment de capitaux, comme les conseillers fiscaux certifiés. Ils peuvent donc bénéficier de l’exception à l’obligation de déclaration des opérations suspectes à la Cellule de Traitement des Informations Financières lorsqu’ils évaluent la situation juridique de leurs clients.

Auteur : Angélique Puglisi

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