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Thema : BTW Auteur : Severine Segier

Céder un immeuble neuf sans TVA : une pratique abusive ?

Lorsque la vente d’un immeuble neuf intervient entre personnes assujetties, le coût supplémentaire représenté par la TVA de 21 % n’est pas un problème, puisqu’il est indolore, tant pour l’acheteur que pour le vendeur, qui peuvent déduire la TVA payée en amont.

En revanche, pour un acheteur qui a la qualité d’assujetti exempté ou de non-assujetti, le financement de la TVA est un surcoût considérable, et comme en matière de location, des schémas alternatifs ont été imaginés et expérimentés par la pratique.

Le tribunal de première instance de Bruxelles a eu récemment à se prononcer sur une construction juridique qui avait permis de céder (économiquement, sinon juridiquement) un immeuble neuf, construit après la démolition d’un immeuble plus ancien, sans application de la TVA, mais moyennant le paiement des droits d’enregistrement de 12,5% sur la valeur de l’immeuble ancien.

Cette décision, qui doit être approuvée, insiste sur le fait que malgré la jurisprudence actuelle de la Cour de justice des Communautés européennes, très défavorable aux assujettis TVA, le fisc belge ne peut voir une pratique abusive dans tous les cas où la TVA a été légalement évitée.

Pour résumer les faits assez complexes de ce dossier, on se limitera à signaler que l’assujetti qui avait fait l’objet de l’ire de l’administration de la TVA était une société de promotion immobilière qui avait constitué, avec d’autres sociétés de son groupe, une filiale, à laquelle elle avait fait apport d’un immeuble et d’un certain nombre d’actifs immatériels (permis d’urbanisme et contrats). L’immeuble bâti devait être détruit pour que soit reconstruit à sa place un nouveau bien.

Des agents immobiliers avaient ensuite été désignés par des actionnaires de la société impliquée dans la procédure litigieuse, afin de rechercher des amateurs pour l’achat des actions de la filiale à laquelle l’immeuble avait été apporté. Un amateur fut trouvé, en la personne d’une entité non-assujettie à la TVA, qui fit l’acquisition des actions de la filiale nouvellement constituée.

Cette entité non assujettie a confié à la filiale la mission de construire le nouvel immeuble.

La filiale sous-traitât cette mission à la société-mère, qui avait apporté l’immeuble.

L’immeuble devait être construit sur les indications précises de l’entité non assujettie à la TVA.

Une fois l’immeuble terminé, celui-ci fut donné à bail par la filiale à l’entité non assujettie.

D’après l’administration de la TVA, cette opération démontrait l’absence d’intention de fonder une société ayant pour but d’opérer une transaction immobilière, et avait uniquement pour but de permettre la vente de l’immeuble par la SA nouvellement constituée, à l’entité non assujettie, de l’immeuble, en exemption de TVA.

D’après l’administration de la TVA, l’entité non assujettie se comportait en effet, vis-à-vis de l’immeuble, comme un propriétaire, et il faut savoir que la définition autonome adoptée par la Cour de Justice des Communautés européennes entend par livraison d’un bien passible de la TVA, tout transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire et ce, même s’il n’y a pas, au sens juridique du terme, une vente.

Ce qui compte est dès lors la manière dont la personne qui a la jouissance de l’immeuble se comporte dans les faits.

Le tribunal examine l’ensemble des conventions conclues par les parties et décide que les conventions avaient uniquement pour objet de transférer à l’entité non assujettie un droit de jouissance de l’immeuble et non un pouvoir de disposition du bien semblable à celui d’un propriétaire.

Le tribunal décide dès lors qu’il n’y a pas livraison d’un bien au sens du Code TVA, mais simple mise à disposition, légalement exonérée de TVA, puisqu’il s’agit d’un bien immeuble.

L’administration de la TVA soutenait également que, comme tous les actes formant l’opération avaient été convenus d’avance, l’intention des parties n’était pas de céder à l’entité non assujettie la propriété des actions de la filiale nouvellement constituée, mais de céder l’immeuble lui-même, en échappant à la TVA due pour la livraison de ce bien.

Ce faisant, l’administration de la TVA n’invoquait pas la théorie de la simulation. Elle aurait été d’ailleurs dans l’incapacité de le faire, vu que les parties avaient respecté soigneusement toutes les conséquences juridiques de leurs actes et qu’aucun de ceux-ci n’était dès lors simulé.</p>

L’administration de la TVA se fonde au contraire sur la notion de « pratiques abusives », notion créée par la Cour de Justice des Communautés européennes.

L’administration de la TVA souhaitait que le tribunal écarte les actes juridiques non simulés qui composaient l’opération, pour considérer que l’opération dans son ensemble avait été conçue dans le but d’éviter la taxe qui aurait été due si l’opération avait été effectuée « normalement ».

Le tribunal examine cependant soigneusement l’opération conclue par les parties et, en particulier, si la vente des actions de la SA nouvellement constituée pouvait être assimilée à la vente de l’immeuble, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes en matière de pratiques abusives.

Or, cette jurisprudence suppose, entre autres conditions, que l’opération conclue n’ait aucune autre justification que fiscale : qu’elle soit montée de toutes pièces dans le but de recueillir un avantage fiscal.

En l’occurrence, le tribunal observe que le marché de la promotion immobilière connaît depuis plusieurs années une profonde mutation.</p>

En effet, cette activité comporte également la vente de sociétés immobilières, parce que les investisseurs institutionnels, constituant la clientèle privilégiée de la promotion immobilière, se montrent soucieux de la liquidité de leur investissement et préfèrent l’acquisition des titres d’une société immobilière, plutôt que l’acquisition de l’immeuble lui-même.

Le tribunal décide dès lors avec raison que le fait, pour une société de promotion immobilière, de constituer une filiale par projet immobilier, c'est-à-dire par immeuble acheté pour être revendu, constitue une adaptation à l’évolution du secteur d’activité, qui lui permet de répondre mieux aux souhaits de la clientèle, qui peut soit acquérir les actions de la société immobilière, soit l’immeuble lui-même ; il ne s’agit pas d’une pratique abusive au sens donné à ces termes par la Cour de justice des Communautés européennes, et cette opération est parfaitement opposable à l’administration de la TVA, quoiqu’elle permette d’éviter l’application de la TVA.

Le tribunal en déduit que la motivation était certes fiscale, mais pas uniquement et qu’elle répondait également à une demande du marché, et à un souci de liquidité des investissements.

Le tribunal décide dès lors qu’il n’y a pas de « pratique abusive » et rejette la thèse de l’administration de la TVA.

Espérons que d’autres jugements seront rendus dans le même sens.

Thème : La TVA Auteur : Severine Segier
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