La procédure en référé est un mécanisme judiciaire permettant d'obtenir une décision rapide dans des situations urgentes. Bien que couramment utilisée dans divers domaines du droit, son application en matière fiscale reste complexe et soumise à des conditions strictes. Un récent arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles en date du 10 octobre 2024 illustre les difficultés rencontrées par les contribuables pour justifier l'urgence dans le cadre d'un litige fiscal.
L'article 584 du Code judiciaire prévoit que le juge des référés peut statuer en cas d'urgence, c'est-à-dire lorsqu'une décision immédiate est nécessaire pour éviter un préjudice grave ou difficilement réparable. Cependant, cette procédure ne peut être utilisée que si les conditions légales sont remplies, notamment la démonstration d'une urgence réelle et d'un préjudice imminent.
En matière fiscale, la procédure en référé peut aussi bien être utilisée par l’administration fiscale que les contribuables. En effet, la législation ne prévoit pas que cette procédure est accessible aux contribuables mais ne l’exclut pas non plus. Il faut donc en conclure que les contribuables peuvent avoir recours à la procédure en référé. De son côté, l'administration fiscale dispose déjà de moyens spécifiques pour accélérer les procédures, comme l'application d'astreintes en cas de non-collaboration du contribuable conformément à l’article 381 du Code d’impôt sur les revenus (ci-après « CIR »). Toutefois, comme le rappelle l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles, les contribuables peuvent également recourir à cette procédure, à condition de prouver l'existence d'un préjudice futur difficilement réparable.
Les faits tranchés par l’arrêt en date du 10 octobre 2024 de la Cour d’appel de Bruxelles peuvent être résumés comme suit : un couple de contribuables, résidant officiellement au Liban mais possédant de nombreux comptes bancaires en Belgique, contestait une demande de renseignements de l'administration fiscale belge. Cette demande visait à obtenir des informations détaillées sur leurs comptes bancaires et leurs activités en Belgique, dans le cadre d'une procédure de levée du secret bancaire sur pied des articles 333/1 §1 et 322 §2 du CIR.
Les contribuables ont intenté une action en référé pour suspendre cette demande, arguant que l'exploitation des données bancaires obtenues par l'administration fiscale entraînerait un préjudice grave, notamment un risque d'imposition illégale et une atteinte à leur vie privée. En première instance, le juge rejeta l’action en référé estimant que l’affaire ne présentait pas le caractère d’urgence requis, une condition essentielle pour qu’une telle procédure puisse être engagée.
Ensuite, la Cour rejeta également la procédure en référé en soulignant que l'imposition ne constitue pas en soi un préjudice difficilement réparable mais plutôt l'application normale de la loi. De plus, la Cour a estimé que la procédure en référé ne pouvait pas être utilisée pour empêcher définitivement l'administration fiscale d'enrôler une cotisation, ce qui irait à l'encontre de la nature conservatoire de cette procédure.
L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles rappelle que pour justifier l'urgence dans le cadre d'une procédure en référé, les contribuables doivent démontrer l'existence d'un préjudice futur difficilement réparable. Dans cette affaire, les contribuables invoquaient deux types de préjudices :
Le risque d'imposition : La Cour a considéré que l'imposition fiscale, même contestée, ne constitue pas un préjudice difficilement réparable, car les contribuables disposent de recours juridiques pour contester l'imposition et obtenir, le cas échéant, un dégrèvement ou un remboursement des impôts indûment payés.
Le risque de fermeture de comptes bancaires : Les contribuables soutenaient que l'exploitation des données bancaires par l'administration fiscale pourrait entraîner la fermeture de leurs comptes bancaires au Luxembourg. Cependant, la Cour a relevé que les contribuables disposaient de nombreux autres comptes bancaires en Belgique et à l'étranger, ce qui rendait ce risque peu crédible.
Enfin, la Cour a souligné que la procédure en référé ne peut pas être utilisée pour empêcher l'administration fiscale de mener à bien ses investigations, notamment en levant le secret bancaire, dès lors que cette mesure est prévue par la loi (article 322 §2 du CIR).
L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles illustre les limites de la procédure en référé en matière fiscale. En effet, cette procédure ne peut pas être utilisée pour empêcher l'administration fiscale d'exercer ses prérogatives légales, telles que la levée du secret bancaire ou l'enrôlement d'une cotisation. De plus, les contribuables doivent démontrer l'existence d'un préjudice concret et difficilement réparable, ce qui est rarement le cas en matière fiscale.
Par ailleurs, l'arrêt rappelle que les contribuables disposent d'autres voies de recours pour contester les décisions de l'administration fiscale, notamment par le biais d'une procédure contentieuse ordinaire. Dans cette affaire, les contribuables avaient également intenté une action en prétaxation devant le tribunal.
L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles intervient dans un contexte où le gouvernement envisage de supprimer la possibilité pour l'administration fiscale de recourir à des astreintes pour contraindre les contribuables à collaborer lors d'un contrôle fiscal. Cette mesure serait remplacée par l'application d'un bénéfice imposable minimal (article 342 §1 du CIR), dont les modalités restent à préciser.
Cette réforme soulève des questions quant à son efficacité, notamment en cas de non-collaboration des contribuables. En effet, si le bénéfice imposable minimal est inférieur au montant réel des revenus du contribuable, cette mesure pourrait inciter les contribuables à ne pas collaborer pleinement avec l'administration fiscale.
La procédure en référé en matière fiscale reste un outil judiciaire exceptionnel, soumis à des conditions strictes. L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 10 octobre 2024 rappelle que l'urgence doit être démontrée de manière concrète et que l'imposition fiscale ne constitue pas en soi un préjudice difficilement réparable. Les contribuables doivent donc privilégier les voies de recours ordinaires pour contester les décisions de l'administration fiscale.
Huu-Toan NGUYEN