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La restriction du droit d’appel des assujettis T.V.A. sanctionnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Le Code T.V.A. belge contient un article tout à fait atypique, qui tend à restreindre l’accès des assujettis T.V.A. à la justice.

La survivance de cette disposition apparaît étrange, dans la mesure où, en ce qui concerne les autres règles de procédure, les contestations en matière d’impôt - y compris en matière de T.V.A. - se sont à présent alignées sur les contestations de droit commun : la procédure fiscale, devant les juridictions, est à présent calquée sur la procédure civile.

Si un assujetti se voit imposer un redressement en matière de T.V.A., il peut introduire un recours devant le tribunal de première instance, afin de faire valoir ses droits.

Dans l’hypothèse où cet assujetti n’obtient pas gain de cause devant le tribunal de première instance, il peut ensuite porter son recours en degré d’appel.

Mais à ce stade, cette disposition du Code T.V.A. autorise l’administration de la T.V.A. à demander à l’assujetti de consigner tout ou partie des sommes qu’elle estime dues.

Cette demande doit être formulée dans certaines formes, toutefois très peu restrictives pour l’administration de la T.V.A. et doit être motivée par la situation financière du débiteur. La pratique nous apprend toutefois que cette motivation est en général lapidaire.

L’assujetti doit alors consigner la somme demandée par l’administration – l’on sait que les rectifications T.V.A. sont souvent d’un montant très important, en raison des amendes qui peuvent aller jusqu’à 200 % - et ce, dans les deux mois de la demande qui lui a été adressée.

La sanction du défaut de consignation est extrêmement lourde, puisqu’elle a tout simplement pour conséquence de rendre la requête d’appel irrecevable. Le défaut de consignation dans le délai imparti prive donc l’assujetti de tout droit ou recours en appel.

Certes, l’assujetti dispose, en vertu de la loi, d’un recours contre cette demande de consignation : il peut demander à la Cour d’appel de déclarer cette demande non fondée, mais la Cour d’appel n’est tenue par la loi de se prononcer que dans les trois mois de l’introduction de ce recours.

La consignation doit, elle, être effectuée dans les deux mois de la demande formulée par l’administration - et pas un jour plus tard. Ceci revient à dire que si l’assujetti fait le choix de ne pas consigner la somme demandée et d’introduire un recours contre la demande de consignation, il court le risque que la Cour d’appel se prononce sur cette question en sa défaveur, et que tout espoir de faire valoir ses arguments de fait ou de droit soit définitivement perdu.

Bien que cet article apparaisse comme une relique d’une procédure à présent révolue, il est encore régulièrement utilisé par l’administration de la T.V.A.

La Cour constitutionnelle a confirmé à plusieurs reprises, en 1995, que le législateur pouvait raisonnablement considérer que la consignation ne serait pas toujours nécessaire pour sauvegarder les droits du Trésor et prévenir des recours dilatoires, et n’a donc pas sanctionné cette disposition légale.

D’autres juridictions se sont cependant, plus récemment, émues de cette situation, et ont donné raison à l’assujetti qui tentait de faire valoir ses droits devant la Cour d’appel, alors qu’il ne disposait peut-être pas de l’assise financière suffisante pour consigner le montant de T.V.A. qui lui était demandé.

Cette question a été récemment portée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dans un arrêt rendu fin 2007, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu à juger d’une affaire où un assujetti avait fait l’objet d’une demande de consignation de près de 4.000.000 €, montant qu’il était incapable de consigner et qui était en grande partie constitué par des amendes. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré que la décision d’irrecevabilité de la Cour d’appel, pour défaut de consignation, constituait une mesure disproportionnée au regard de la protection des intérêts de l’administration fiscale.

Elle a également décidé que l’accès effectif de l’assujetti à la juridiction d’appel s’en était trouvé entravé. La Cour Européenne des Droits de l’Homme en a conclu qu’il y avait eu violation, par l’Etat belge, de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui garantit le droit de chacun à un procès équitable et à un accès effectif aux juridictions.

Il faut toutefois noter que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a fondé son raisonnement en partie sur le montant de la somme à consigner, qu’elle a décrit comme « exceptionnellement élevé ». La motivation de l’arrêt laisse entendre que la Cour ne se serait peut-être pas prononcée de la même manière si la consignation demandée avait été d’un montant moindre.

Il s’agit néanmoins d’une décision fort intéressante, dans la mesure où elle remet l’Etat belge à sa juste place : l’Etat belge n’est rien d’autre qu’une partie à un procès, et l’on ne voit pas pourquoi cette partie devrait pouvoir, en vertu de la loi, s’arroger des prérogatives tout à fait exorbitantes du droit commun, prérogatives qui, dans certains cas, évitent peut-être des recours dilatoires, mais qui, dans d’autres, privent les assujettis d’un recours effectif au juge d’appel, en raison du fait que leur couverture financière n’est pas suffisante.

Cet arrêt constitue donc un pas vers la normalisation de la procédure T.V.A. en appel.

Thème : La TVA Auteur : Severine Segier

Thema : BTW Auteur : Severine Segier
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