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Un million de blanchisseurs

Un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2003 a de quoi susciter des craintes chez de très nombreux contribuables. Dans une banale affaire de fraude commise par des marchands de tapis, la Cour d'appel de Mons a considéré que les prévenus étaient coupables, mais n'a visiblement pas estimé la fraude bien grave, puisqu'elle les a dispensés de peine, se bornant à une simple déclaration de culpabilité.

Toutefois, la Cour a procédé à la confiscation "d'avantages patrimoniaux" correspondant au montant de l'imposition qui avait été établie sur les revenus non déclarés. Le contribuable - prévenu s'est donc retrouvé dans l'obligation de payer à la fois l'impôt, et les accroissements sur celui-ci, et la confiscation, correspondant au montant de l'impôt également.

Les marchands de tapis ont introduit un pourvoi en cassation, soutenant, comme l'estimait une bonne partie de la doctrine, qu'en matière de fraude fiscale, autre que des carrousels TVA (où le contribuable se fait rembourser une TVA non due) il n'y a pas "d'avantage patrimonial" parce que le seul évitement d'une dette ne génère pas des actifs susceptibles de saisie ou de confiscation.

Un arrêt particulièrement peu motivé et qui ne paraît pas susceptible de justification raisonnable en droit a rejeté ce moyen en soutenant que le juge du fond pouvait considérer comme étant un avantage patrimonial le seul évitement d'un impôt.

Pour comble, l'arrêt ajoute, qu'il en est ainsi même si l'impôt a été finalement enrôlé. On peut toutefois se demander comment trouver un avantage dans le chef d'un contribuable qui doit finalement payer tout l'impôt qu'il voulait frauder, outre des amendes et des intérêts.

Cet arrêt aura des conséquences considérables dans le cas où une personne se retrouvera poursuivie pour fraude fiscale devant les juridictions correctionnelles. Elle risque en effet, même si comme en l'espèce le juge du fond ne considère pas les faits comme graves, une sanction extrêmement lourde consistant en une confiscation égale à l'impôt que par ailleurs, elle devra payer aussi.

Bien plus au point où en est arrivée la Cour, il n'est pas exclu que dans le chef d'une personne dont on peut penser qu'elle fraude vraisemblablement le fisc (même par exemple pour un restaurateur qui ne paie pas la TVA pour toutes ces ventes, voire pour les membres du personnel payés en noir de celui-ci), on pourrait en arriver à considérer que pratiquement toute utilisation de l'argent en Belgique, liée de quelque manière que ce soit à la fraude, consisterait en un blanchiment d'argent.

Dans ce cas, l'acceptation des fonds par des tiers ne pouvant se douter qu'il y a fraude, comme des banquiers, des fournisseurs, voire des membres du personnel, constituerait aussi un blanchiment d'argent. De tels faits étant particulièrement courants, on en arriverait vite à ce que, vu le nombre de personnes en contact avec de tels fraudeurs, une partie significative de la population pourrait se voir accuser de blanchiment d'argent.

Plus concrètement, dans le cas de rapatriement de capitaux, en dehors du bénéfice de la loi d'amnistie fiscale, on peut s'interroger sur la position des banques, qui accepteraient des versements provenant de l'étranger, même après régularisation spontanée. De même, en cas de revente en Belgique de SICAVS de capitalisation acquises il y a 5 ou 6 ans au moyen de fonds non déclarés au fisc, ne faudra-t-il pas considérer aussi qu'il y a blanchiment, si l'on se place dans la ligne de cet arrêt fort contestable de la Cour de cassation ?

Dans l'attente d'une clarification, très souhaitable de cette jurisprudence, il est à conseiller d'adopter une attitude de prudence, qui peut consister à recourir à des méthodes plus subtiles - qui existent - pour disposer d'argent en Belgique plutôt qu'à l'étranger.

Thème : Le blanchiment Auteur : Muriel Igalson, Thierry Afschrift
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