Vers la fin de l’année 2024, l’administration a publié une Circulaire (2024/C/79) concernant l’application de la taxe dite « Caïman » lorsque la construction juridique est située dans un État avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition.
Pour rappel, sous le régime de la taxe Caïman, la Belgique impose les revenus perçus par certaines entités, qualifiées de constructions juridiques, dans le chef du fondateur-résident belge de celles-ci et ce par transparence, donc comme si la construction juridique n’existait pas.
Dans sa Circulaire, l’administration entend aborder la question de l’articulation de cette disposition bien belge avec les conventions préventives de la double imposition liant la Belgique à l’état de résidence de la construction juridique.
Qu’en dit la Circulaire ?
L’administration rappelle dans un premier temps la primauté du droit international sur le droit interne, l’effet direct des dispositions des conventions préventives et leur rôle de répartition du pouvoir d’imposition entre les Etats signataires, ainsi que le fait elles n’ont pas d’incidence sur les obligations du contribuable belge, qu’elles soient déclaratives ou afférentes aux investigations et au contrôle.
Ensuite, l’on y affirme que « normalement » (sic), il n’y aurait pas de contradiction entre les conventions préventives et les dispositions de la taxe Caïman, qui pourraient ainsi sortir leurs effets sans entrave.
De plus, s’empresse de rappeler l’administration, le C.I.R. ‘92 prévoit une exception dite de substance : l’imposition en Belgique n’aura pas lieu si le fondateur prouve que la construction juridique est établie notamment dans un État avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive, que les revenus de cette construction juridique sont principalement recueillis suite à l'exercice d'une activité économique substantielle et que son activité n’a pas pour but la gestion du patrimoine privé du fondateur ou d'un des fondateurs de celle-ci.
L’administration poursuit en rappelant qu’il y a une différence (bien que pas réellement importante pour le portefeuille du contribuable) entre la double imposition juridique (taxation du même revenu ou de la même fortune dans le chef d’une même personne) et la double imposition économique (taxation du même revenu ou de la même fortune dans le chef de deux personnes différentes), ainsi que le fait que les conventions préventives envisagent uniquement les cas de double imposition juridique.
Elle ajoute aussi, de manière plutôt inquiétante, que lorsque la Belgique impose, dans le chef du fondateur belge, les revenus d’une construction juridique qui seraient imposables à l’étranger sur base des dispositions d’une convention préventive, la Belgique, en tant qu’Etat de résidence ne serait obligée « d’exempter les revenus imposables dans l’autre État que dans le cadre d’une double imposition juridique. ».
L’administration clôture son exposé en rappelant que le système « proposé » (sic) serait conçu « telle sorte qu’il concilie harmonieusement les intérêts légitimes du Trésor et du contribuable » dans le but d’éviter que l’impôt soit « esquivé » (sic) via l’utilisation d’une construction juridique, éliminant ainsi les possibilités « de non-imposition ou d’imposition réduite via des pratiques d’évasion ou de fraude. »
Qu’en penser ?
Il est avant tout regrettable que l’administration se soit limitée aux conventions préventives sans profiter de l’occasion pour aborder l’évitement de la double imposition sous l’angle de la Directive (UE) 2017/1852 du Conseil du 10 octobre 2017 concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l'Union européenne (transposée en Belgique par la Loi du 2 mai 2019) ; ce sujet méritait également réflexion, que dans certains cas le contribuable fera le choix d’invoquer la loi de 2019 plutôt que la convention préventive.
Pour le surplus, sur le plan technique, la circulaire n’apporte, malheureusement, (presque) rien de nouveau, ce qui est au demeurant normal : ce n’est pas le mode de fonctionnement des conventions préventives qui pose problème mais le système d’imposition de la taxe Caïman - système qui ne fait pas grand cas des doubles impositions quand une telle situation n’est pas prohibée par une norme supérieure.
Dans ce contexte, la référence à l’exception de substance n’est pas réellement pertinente. Celle-ci ne fait que conditionner l’application (au demeurant pas si courante dans les faits) d’une exception légale à la taxe Caïman, à la réunion de certaines conditions dont l’existence d’une convention préventive. Cependant, la question qui importe en réalité est de savoir si le contribuable peut se prévaloir des dispositions d’une convention préventive dans le cadre de la Taxe Caïman en dehors de toute exception spécifiquement prévue par la loi belge.
Pire, la circulaire ne manque pas d’ajouter à la situation déjà confuse une pincée d’insécurité juridique (supplémentaire), relativement à la taxation de certains revenus, tels, par exemple, les revenus immobiliers.
En effet, quand l’administration écrit que la Belgique n’est obligée d’exempter les revenus imposables dans l’autre État en vertu d’une convention préventive que dans le cadre d’une double imposition juridique, on peut aisément imaginer que les fondateurs de structures détenant des immeubles (p. ex. une SCI française, une LLC des USA, etc.) ne pourront pas s’empêcher de se demander si, finalement, ils pourront invoquer le prescrit de la convention préventive applicable dans leur cas pour obtenir l’exemption des revenus immobiliers perçus par la construction juridique dans le pays de sa résidence. Rédaction malheureuse ou déclaration d’intention, l’avenir nous le dira.
Enfin, de manière générale, l’on perd en permanence de vue que dans nombre de cas, le contribuable sera considéré comme fondateur car il détient (parfois à son insu) une participation dans une construction juridique via une société établie dans un pays qui est bien lié à la Belgique par une convention préventive et qui taxe bien les revenus distribués par ladite construction juridique : dans ce cas, il y aura également bien une double imposition économique en dehors de toute situation « de non-imposition ou d’imposition réduite via des pratiques d’évasion ou de fraude. »
Qu’en conclure ?
La Circulaire démontre une fois de plus que le système singulier de la Taxe Caïman rend souvent impossible la conciliation des intérêts en présence, conciliation qui s’avère finalement tout sauf harmonieuse.
Cette démonstration se fait d’ailleurs ici de manière plutôt cynique : la double imposition subie par certains contribuables est en permanence justifiée en quelque sorte par le fait qu’elle ne serait qu’ économique.
L’administration fonde l’intégralité de son raisonnement sur le postulat - illogique et au bien-fondé jamais démontré - que la double imposition économique constituerait une situation acceptable et ce dans tous les cas, donc même quand il ne s’agit pas de dissuader la fraude ou l’évasion fiscale.
Cependant, l’on ne voit toujours pas pour quelle raison le contribuable qui n’est animé par aucune intention fiscalement malveillante devrait subir les conséquences d’une multiple charge fiscale, de surcroît quand il reçoit des revenus d’une société taxée établie dans un pays avec lequel la Belgique est lié par une convention préventive de la double imposition (qui comporte d’ailleurs des dispositions permettant l’échange d’informations et la coopération entre les Etats signataires).
Le caractère prétendument acceptable de la double imposition économique semble illustrer la différence entre les concepts de droit (seule la double imposition juridique est visée par les conventions préventives) et de justice (fiscale) ; cependant, aussi bien la lettre que l’esprit de cette circulaire illustrent également le fait que le contribuable n’a pas le monopole de l’abus de droit en la matière.
Il reste à espérer qu’à l’issue du recours introduit à l’encontre de la Taxe Caïman, la Cour constitutionnelle mettra un frein aux nouvelles idées de l’administration et rétablira ainsi l’harmonie à laquelle celle-ci dit tant aspirer.