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Délai d’imposition de dix ans en cas de fraude fiscale – limitation aux seuls revenus retirés dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire

1. Depuis l’exercice d’imposition 2023 (revenus de l’année 2022) (article 354, § 2 du code des impôts sur les revenus (ci-après « CIR »)), l’administration fiscale dispose d’un délai de dix ans pour enrôler l’impôt en cas d’infraction commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Dans un arrêt récent du 24 mars 2023, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si, dans une telle hypothèse de fraude fiscale, l’administration fiscale pouvait enrôler le supplément d’impôt sur la totalité des revenus imposables du contribuable visé ou uniquement sur les revenus retirés intentionnellement du comportement frauduleux. Dans ce cas d’espèce, la Cour de cassation était saisie d’un pourvoi portant sur un arrêt de la Cour d’appel de Gand du 16 mars 2021.

Le litige laissé à l’appréciation de la Cour d’appel de Gand portait sur l’application de l’ancienne version de l’article 354 du CIR telle qu’en vigueur au cours de l’exercice d’imposition 2006. La disposition en vigueur prévoyait que le délai d’imposition ordinaire de trois ans pouvait être prolongé de deux ans en cas d’infraction commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Dans le cas d’espèce, l’administration fiscale avait enrôlé une cotisation primitive dans le délai ordinaire de trois ans. Cette cotisation fut annulée par le directeur régional pour cause de prescription, le délai de réponse d’un mois à l’avis de rectification adressé par l’administration fiscale n’ayant pas été respecté.

Invoquant la commission d’une fraude, l’administration fiscale enrôla ensuite pour le même exercice d’imposition une seconde cotisation dans le délai complémentaire de deux ans. Elle appliqua cette nouvelle cotisation sur les mêmes revenus que ceux qui avaient déjà été compris dans la cotisation annulée.

Dans son arrêt du 16 mars 2021, la Cour d’appel de Gand approuva le raisonnement de l’administration fiscale et confirma donc qu’à juste titre, la cotisation enrôlée dans le délai complémentaire de fraude fiscale pouvait s’appliquer sur les mêmes revenus que ceux ayant déjà fait l’objet de la cotisation primitive, même si ces revenus n’étaient pas le résultat du comportement frauduleux du contribuable concerné.

2. Contre toute attente, la Cour de cassation saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Gand annula cet arrêt sur base du considérant suivant :

« Si les conditions d’application du délai d’imposition de cinq ans de l’article 354, al. 2, CIR 92, sont remplies, l’impôt établi dans ce délai supplémentaire ne peut porter que sur les revenus retirés dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire et non sur la totalité des revenus imposables (traduction libre de l’arrêt) ».

La Cour de cassation a précisé dans cet arrêt du 24 mars 2023 qu’elle revient sur sa jurisprudence antérieure.

Dans ses arrêts antérieurs prononcés sur cette même question, la Cour de cassation décidait en effet de manière constante que l’administration fiscale était autorisée à imposer les contribuables dans les délais extraordinaires d’imposition prévus en cas de fraude fiscale, en appliquant non seulement le supplément d’impôt, c’est-à-dire l’impôt qui est supérieur à celui qui se rapporte aux revenus et aux autres éléments mentionnés dans la déclaration mais la totalité de l’impôt dû par le contribuable (voy. notamment Cass., 9 septembre 2011, F10.01.19F ; Cass., 29 octobre 1999, R.G.F.98.00.83.F).

3. Les conséquences de l’arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 2023 sont importantes. Désormais, lorsqu’elle invoquera le délai d’imposition de 10 ans prévu en cas d’infraction commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, l’administration fiscale devra démontrer quels sont les revenus retirés du comportement invoqué et elle ne pourra imposer que ces revenus. Elle ne pourra pas se contenter d’invoquer l’existence d’éléments intentionnels de fraude pour établir dans le délai extraordinaire de dix ans l’impôt sur la totalité des revenus imposables du contribuable visé. </b>

Ceci implique également que l’administration fiscale ne pourra désormais plus invoquer le délai de dix ans pour taxer des revenus qu’elle aurait omis de taxer dans le délai ordinaire de trois ans sans démontrer que ces revenus sont également retirés dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Concrètement, à titre d’exemple, si l’administration fiscale devait, en dehors du délai de trois ans mais dans le délai de dix ans, démontrer qu’un contribuable n’aurait pas déclaré des capitaux étrangers qui auraient dû subir l’imposition belge et que cette omission de déclaration a été faite dans une intention frauduleuse, elle pourrait uniquement imposer ces capitaux même si, à l’occasion de ce contrôle, elle devait se rendre compte que d’autres revenus, par exemple une pension étrangère ou des revenus immobiliers étrangers, n’ont pas été déclarés par ce même contribuable.

Elle ne pourrait taxer ces autres éléments que si elle parvenait à démontrer que ces revenus ont également été retirés dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

L’arrêt de la Cour de cassation est donc une bonne nouvelle pour les contribuables. Il conviendra donc d’y être attentif à chaque fois que l’administration fiscale invoquera le délai extraordinaire d’imposition prévu en cas d’infraction commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire pour rectifier une déclaration fiscale. Mais aussi il faudra lire cet arrêt en tenant compte des nouveaux délais introduits par la loi récente.

Auteur : Angélique Puglisi
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