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L’opération de vente rapide d’actions face à la notion de gestion normale d’un patrimoine privé

La portée précise de la notion de gestion normale d’un patrimoine privé provoque moultes débats depuis des décennies. Cette notion constitue l’élément central pour échapper à la qualification et la taxation à titre de revenus divers prévues à l’article 90, 1°, du Code d’impôt sur les revenus (ci-après, C.I.R.).

Conformément à cet article, sont considérés comme revenus divers : « les bénéfices et profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement, ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion normale d’un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers ».

Les conséquences fiscales d’une telle qualification sont non-négligeables : soit une taxation au taux de 33% à titre de revenus divers soit une exonération en cas de gestion normale d’un patrimoine privé.

Dès lors, que faut-il entendre par « gestion normale d’un patrimoine privé » ?

Par un récent arrêt du 7 décembre 2023 (Cass., 7 décembre 2023, F.22.0174.N), la Cour de cassation a confirmé l’appréciation du juge d’appel qui avait estimé que la vente rapide d’actions in casu ne rentrait pas dans la gestion normale d’un patrimoine privé.

Les faits peuvent être résumés comme suit : le premier demandeur avait conclu une convention d’associés qui lui donnait un droit de préemption sur les actions de son frère. Préalablement, le premier demandeur avait convenu avec un tiers de la revente immédiate des dites actions permettant à ce premier de ne pas avoir recours à des fonds propres. A cette occasion, il réalisa une plus-value.

Dans le cas d’espèce, le juge d’appel examina le sort de cette plus-value sur actions au regard de 90, 9°, 1er tiret, du C.I.R. 92 qui dispose que sont qualifiées de revenus divers les plus-values sur actions qui « sont réalisées à l'occasion de la cession à titre onéreux de ces actions ou parts, en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle, à l'exclusion des opérations de gestion normale d'un patrimoine privé ».

Dans son arrêt, la Cour de cassation commença par rappeler que la notion d’ « opérations de gestion normale d’un patrimoine privé » doit être compris comme incluant les actes dit de « gestion simple » à savoir les actes accomplis par une personne raisonnable et prudente dans la gestion quotidienne de son patrimoine privé. D’après la Cour, il est nécessaire de tenir compte des risques de perte dans les opérations ainsi que des moyens professionnels mis en œuvre. La circonstance qu’une opération ne comporterait pas de risque de perte n’entraine pas automatiquement la qualification de simple gestion d’un patrimoine privé de l’opération. Le juge apprécie souverainement si une opération dépasse la simple gestion d’un patrimoine privé.

En l’espèce, la Cour de cassation constate notamment les éléments suivants pris en compte par le juge d’appel pour fonder sa décision : en vue de l’acquisition des actions du groupe, le premier demandeur avait structuré la transaction de telle sorte qu’il n’a pas eu à débloquer de fonds propres pour le paiement du prix d’achat de 50% du bloc d’actions. Les actions avaient été financées par des fonds mis à la disposition du premier demandeur par le tiers acquéreur.

Ainsi, le prêt du tiers acquéreur avait été remboursé immédiatement après, par compensation, avec le prix d’achat payé par le tiers pour toutes les actions du groupe.

Le premier demandeur et le tiers acquéreur avaient également conclu un accord pour la reprise de toute les actions du tiers acquéreur sous la condition suspensive que le premier demandeur possède toutes les actions du groupe à une date déterminée.

Dès lors, bien que toutes les actions soient entre les mains du premier demandeur, le tiers acquéreur s’était déjà juridiquement engagé à reprendre toutes les actions à un prix supérieur à celui que le premier demandeur paierait proportionnellement à son frère. Le premier demandeur s’était donc déjà assuré une importante plus-value sur le bloc d’actions de son frère de 50% avant même l’exercice de son droit de préemption et d’avoir ce bloc d’actions et sans devoir courir aucun risque financier ou économique normalement associé aux transactions d’actions.

Finalement et compte tenu de ce crédit à court terme, le premier demandeur n’a supporté aucun risque financier étant donné que les transactions étaient quasi-simultanées et que toute l’opération avait été négociée par le premier demandeur avec le tiers acquéreur et non pas imposée comme celui-ci le prétendait.

Sur base de ces éléments, la Cour conclut que le juge d’appel avait pu légalement décider que l’opération à l’occasion de laquelle le premier demandeur avait réalisé une plus-value sur les actions de son frère ne constituait pas une opération ordinaire de gestion d’un patrimoine privé et que cette plus-value était imposable conformément à l’article 90, 9°, 1er tiret, du C.I.R.

Dans une cause plus ancienne (Cass., 6 mai 1988, F.J.F, 88/156), la Cour de cassation avait toutefois défini la notion de spéculation en précisant que « la revente à bref délai n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’une spéculation » ce qui permettait d’éviter la taxation en tant que revenu divers.

L’arrêt de la Cour du 7 décembre 2023 nous rappelle donc que déterminer si une opération relève ou non de la « gestion normale d’un patrimoine privé » s’apprécie au cas par cas. Sur base de l’ensemble des faits de l’espèce, un seul élément n’est en soi pas suffisant. Il conviendra de tenir compte de l’ensemble des circonstances ayant entrainé la réalisation de la plus-value.

Huu-Toan NGUYEN

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